L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, c’est évidemment Robert Redford, à qui la Mostra a remis un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière, en même temps qu’à Jane Fonda, l’une de ses plus mémorables partenaires à l’écran (Le Cavalier électrique, La Poursuite impitoyable, Pieds nus dans le parc).
Ce duo hollywoodien de légende est réuni une nouvelle fois à l’écran dans Our Souls at night de Ritesh Batra, adaptation du roman éponyme de Kent Haruf. Ils incarnent deux voisins, Addie et Louis, qui décident de se rapprocher pour tromper leurs solitudes respectives, après des années de veuvage. Au début, leur relation est un peu compliquée. Louis, notamment, se montre peu bavard et pas très à l’aise, craignant les ragots du voisinage et redoutant de se lancer dans une nouvelle relation sentimentale, à son âge avancé. Mais peu à peu, ils nouent des liens de plus en plus complices, encore renforcés par l’irruption imprévue du petit-fils d’Addie, qui reconstitue un semblant de cellule familiale.
Il s’agit d’un film tout simple, qui traite des choses de la vie, de la solitude des personnes âgées, des relations entre les générations, de l’importance des relations humaines dans un monde souvent très dur.
Il est généralement assez compliqué de traiter l’intime au cinéma, de filmer le quotidien, la routine, les plaisirs simples de l’existence. Ritesh Bartra ne s’en sort pas si mal, en s’appuyant sur le talent évident de ses deux acteurs principaux. On aurait souhaité, cependant, un peu plus de puissance dans la mise en scène, un petit supplément d’âme qui vienne sublimer ce récit assez lisse, dépourvu de péripéties et d’effets mélodramatiques. En fait, on a l’impression d’être devant un téléfilm de luxe, qui sert juste d’écrin pour ses deux comédiens principaux. D’ailleurs, c’est le cas : il s’agit d’une production Netflix, conçue pour être diffusée sur ce réseau…
L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, c’est aussi Charlie Plummer, le jeune acteur de Lean on Pete, présenté en compétition officielle. Dans le nouveau film d’Andrew Haigh, il incarne Charley, un adolescent livré à lui-même qui accepte de travailler comme palefrenier pour le compte de Del (Steve Buscemi), éleveur un brin filou de chevaux de course. Très vite, Charley se prend d’affection pour Lean on Pete, pas vraiment un tocard, puisque le vieux cheval a encore de l’énergie à revendre, mais pas non plus un pur sang taillé pour briller sur les champs de courses. Sans doute se reconnaît-il dans cet animal, doux, travailleur, mais sans intérêt aux yeux du monde. La mort de son père, conjuguée avec la décision de Del de vendre Lean on Pete à un abattoir, décident le jeune homme à fuguer avec l’animal, à la recherche de sa tante, sa seule famille restante. Le périple dans cette Amérique rurale et assez sauvage ne sera pas de tout repos, mais il permettra à Charley de retrouver une certaine stabilité et une paix intérieure.
Là aussi, il s’agit d’un film assez simple, à la structure scénaristique un peu trop prévisible. On a l’impression d’avoir déjà vu mille fois ce genre de récit initiatique, d’errance adolescente, et même le cadre dans lequel se déroule l’intrigue n’est plus si original que cela (On pense entre autres à The Rider de Chloë Zhao, présenté en mai dernier à la Quinzaine des Réalisateurs).
Certes, la réalisation d’Andrew Haigh est soignée, et le chef opérateur Magnus Jønck sait composer de très jolis plans avec les grands espaces de l’Oregon, mais on aurait aimé un peu plus de matière narrative ou un peu plus d’inventivité dans la mise en scène pour transcender ce récit.
Enfin, il y a Ai Weiwei, l’homme qui murmurait à l’oreille des… cheveux. Car, allez savoir pourquoi, dans The Human Flow, l’artiste chinois fait une fixation sur la capilliculture. On le voit tout d’abord se faire couper les cheveux par un réfugié syrien, puis, en fin de film, se muer lui-même en coiffeur pour effectuer un petit rafraîchissement sur la chevelure d’un migrant. Bon d’accord, pas de quoi se couper les cheveux en quatre, ces deux scènes ne représentant que deux minutes sur une oeuvre de près de deux heures vingt. Mais elles sont symptomatiques des défauts du film. Déjà, Ai Weiwei passe un peu trop de temps à se mettre lui-même en scène – dans un documentaire, c’est un peu embêtant… – et ensuite, il filme trop de choses inutiles, qui n’apportent absolument rien à son propos et alourdissent un film qui, déjà, ne brille pas par la finesse de son ossature.
Car The Human flow, c’est un peu “La crise des migrants pour les nuls”. Le cinéaste a arpenté la planète de camp de réfugiés en camp de réfugiés, à la rencontre des migrants. A chaque étape, le dispositif est le même : un plan aérien montrant les abris de fortunes, les flux de population, les points d’entrée d’un territoire à l’autre, puis un panneau expliquant la situation de ces réfugiés et la raison qui les poussent à fuir leur pays, et enfin une succession de saynètes ou de coupures de presse illustrant les conditions de vie de ces migrants.
L’avantage, c’est que l’exercice a le mérite d’être assez exhaustif. Après avoir vu ce film, ceux qui ne s’étaient jamais intéressé aux problèmes géopolitiques ou au sort des réfugiés seront désormais incollables sur la question.
L’inconvénient, c’est que les autres spectateurs, probablement majoritaires dans un festival de cinéma comme la Mostra, qui propose des oeuvres ouvertes sur le Monde, trouveront sans doute que le réalisateur enfonce des portes ouvertes. On n’a pas attendu son film pour comprendre les raisons qui poussent les syriens à quitter leur pays, ni celles qui incitent les africains à venir tenter leur chance en Europe… En revanche, on attendait d’Ai Weiwei qu’il traite le sujet avec son regard d’artiste, qu’il mette en lumière de façon différente le sort de ces milliers d’hommes et de femmes déracinés, ayant tout quitté dans l’espoir d’une hypothétique vie meilleure. De ce point de vue-là, c’est assez pauvre, hélas.
Il y a malgré tout quelques plans absolument admirables. Par exemple celui montrant un groupe de migrants emmitouflés dans des couvertures de survie, au crépuscule, sur l’île de Lampedusa. Les reflets sur la surface dorée les nimbe d’une aura lumineuse particulière, en fait des êtres humains précieux, des individus irradiant d’espoir et de courage.
Ou ce plan aérien montrant une distribution de nourriture chaotique au coeur d’un village de réfugiés. Vus d’en haut, on dirait un essaim d’insectes se disputant les restes d’un festin humain.
Quel dommage que l’intégralité du film ne soit pas de ce niveau! On aurait aimé être transportés par la beauté plastique de l’oeuvre, par une narration plus graphique que didactique. On aurait voulu que l’artiste s’exprime par la force de ses images plutôt que de se filmer auprès des migrants, semblant nous dire “regardez comme je suis un brave homme…”.
Pourtant, on ne doute pas de la sincérité de sa démarche, ni de sa volonté de sensibiliser l’opinion publique. Le seul véritable intérêt du film, c’est que de par sa notoriété internationale, Ai Weiwei saura sans doute pousser les dirigeants des grands pays occidentaux, notamment ceux de l’Union Européenne, à réfléchir à des solutions durables à la crise des migrants, plutôt que de tenter d’éluder le problème en payant la Turquie pour garder les migrants sur son territoire, alors que la capacité d’accueil est déjà à saturation. S’il arrive à éveiller ne serait-ce qu’un peu les consciences, il aura déjà gagné son pari.
Si nous ne sommes pas exilés à dos de poney sur les sommets alpins, à demain pou la suite de nos chroniques vénitiennes.