Dernier jour de compétition sur le Lido, avec deux films qui étaient plus ou moins attendus au début du festival, Good kill d’Andrew Niccol, et The Postman’s white nights d’Andreï Konchalovsy. Deux candidats au lion d’Or? A voir…
”The Good kill” d’Andrew Niccol (Compétition Officielle)
Qu’est-ce qui fait qu’une guerre est à ce point traumatisante pour les soldats? Les conditions climatiques difficiles? Le sifflement des balles et le son assourdissant des bombes? Voir ses compagnons d’armes tomber? La peur de mourir sur le champ de bataille?
Dans The Good Kill, Andrew Niccol répond à cette question en nous attachant à montrer les ravages psychologique d’une guerre “propre”. Son personnage principal, le Major Tom Egan (Ethan Hawke), est un pilote de chasse qui a été réaffecté à une base dans le Nevada, non loin de Las Vegas. Sa mission consiste à piloter des drones opérant dans l’espace aérien afghan. Chaque jour, il traque les combattants talibans et détruit les entrepôts ennemis sans avoir besoin de se mettre en péril. Miracle de la technologie moderne, qui permet d’éviter de toucher des civils. Mais, comme le rappelle le commandant à ses troupes, ils ne sont pas en train de jouer à un jeu vidéo. Chaque fois qu’ils appuient sur la gâchette, ils ôtent la vie ou causent des dommages irrémédiables. Il faut prendre les bonnes décisions.
Egan a de plus en plus de mal à supporter ces combats virtuels. Au moins, quand il était sur le terrain, il pouvait prendre conscience de la réalité des combats et s’imprégner du contexte du conflit. Et il n’avait pas à rentrer le soir pour s’occuper de sa famille,comme si de rien n’était. La “guerre propre” n’est pas propre. Il tue des gens chaque jour, et doit faire avec ce poids qui pèse sur sa conscience. Il envisage de repartir en mission réelle, pour échapper à cette culpabilité qui l’assaille chaque soir, en rentrant chez lui.
Mais avant cela, il doit accomplir une dernière mission de pilotage de drones, sous la direction de la CIA. Cette fois, les choses sont différentes. Les agents de la CIA font moins dans le sentiment, et lui demandent d’abattre des objectifs dont le lien avec les talibans sont douteux. Il suit les ordres, comme on lui a appris à le faire, mais il a de plus en plus de doutes quant à l’utilité de sa mission et se sent de plus en plus mal à l’aise à l’idée de tuer des innocents.
Un tel sujet aurait pu donner un très grand film, d’autant qu’Ethan Hawke s’empare du rôle avec talent et conviction. Mais Andrew Niccol ne va pas tout à fait au bout de sa démarche. Il dilue son sujet principal dans une trame mélodramatique où le personnage doit faire face à des déboires conjugaux, pollue son discours pacifiste avec le sempiternel discours sur le sens du sacrifice exemplaire des soldats US, pour flatter les instincts patriotiques des spectateurs américains et peine à conclure son film de façon satisfaisante. A l’arrivée, The Good Kill est un film honnête, mais manquant trop d’ampleur pour prétendre à un prix – de notre point de vue, qui ne sera peut-être pas celui du jury. Dommage, on aurait bien aimé Andrew Niccol retrouver sa virtuosité artistique avec ce long-métrage, après deux films “hollywoodiens” loin du niveau de ses premières oeuvres.
Reste quand même quelques scènes très réussies, comme le terrifiant bombardement d’un groupe d’afghans en train d’enterrer les leurs. Un massacre commandité par la CIA, sans scrupules, qui ne fera sans doute qu’accroître la haine du peuple afghan contre les soldats américains, et perpétuera le cercle vicieux de la violence…
Notre note : ●●●●○○
“The Postman’s white nights” d’Andreï Konchalovsky (Compétition Officielle)
L’intrigue se déroule dans une petite île au milieu d’un lac, au nord de la Russie. Là, loin de l’agitation moscovite, les rares habitants attendent impatiemment leur pension pour pouvoir la dépenser en vodka, en nourriture ou en matériel de pêche. Comme le village est coupé du monde, le rôle du facteur est essentiel. Chaque jour, Alekseï Tryapitsyn apporte le courrier, fait les courses pour les personnes âgées, et véhicule les précieuses pensions.
On le suit dans ses déplacements, ses visites aux différents habitants de l’île, dans ses tentatives de séduire sa voisine, une veuve qui envisage de quitter les lieux pour s’installer dans un endroit plus animé. Les différentes scènes, apparemment anodines et pleines de poésie, permettent à Andreï Konchalovsky d’évoquer les mutations de la société russe, après des années de communisme, de parler du fossé se creusant entre les générations, entre les classes sociales, entre les villes et la province russe, entre le pouvoir et le peuple.
Derrière la simplicité du dispositif, faisant intervenir exclusivement des acteurs amateurs, il y a, à n’en pas douter, une oeuvre brillamment construite, qui critique de manière subtile et néanmoins corrosive la gestion du pays par Vladimir Poutine et ses sbires.
Au vu de l’actualité et de la composition du jury, on parierait bien sur ce film pour le Lion d’Or ou le Grand Prix. Et au regard des qualités du film, ce ne serait absolument pas scandaleux.
Notre note : ●●●●●●
Ce qui est un peu scandaleux, en revanche, c’est que James Franco vienne à la Mostra tous les ans, ou presque, pour nous infliger ses créations cinématographiques.
Cette année, il est venu présenter The Sound & the Fury, dans la section Orizzonti. Une adaptation du roman éponyme de William Faulkner, définie par l’auteur comme “une histoire racontée par un idiot”. Pourquoi pas… Mais était-il nécessaire d’en faire aussi un film dirigé comme un idiot et joué comme un idiot?
Nous avons tenu dix minutes face à ce fatras d’images montées à la va-comme-je-te-pousse, avec inserts noirs inutiles, ralentis grotesques et plans d’une niaiserie absolue, avant de renoncer, vaincus par le numéro insupportable de James Franco acteur, cabotinant sans vergogne dans la peau d’un personnage handicapé mental.
Il ne mérite pas qu’on s’attarde trop sur son travail. Une critique écrite comme un débile suffira : Gnnneeeeeee. (Traduction : c’est très mauvais…)
Bon, remettez-lui comme prévu le prix Jaeger-LeCoultre “Glory to the Filmmaker” et basta. Qu’il ne revienne que quand il aura pris le temps de peaufiner ses films, plutôt que d’essayer d’en sortir trois par an. Nous, en tout cas, on a notre dose de ses adaptations littéraires fumeuses.
On a aussi du mal avec le nouveau film de Larry Clark, présenté à Venice Days.
Le cinéaste américain a beau s’être installé en France pour tourner ce film, il ne semble pas avoir vraiment renouvelé ses thématiques…
”The Smell of us” de Larry Clark (Venice Days)
The Smell of us commence avec une séquence marquante : Des jeunes skateboarders s’amusent sur une esplanade et se servent du corps d’un SDF affalé sur le sol, ivre mort, comme d’un obstacle par-dessus lequel ils sautent, pendant qu’un autre jeune joue de la guitare, indifférent au spectacle. L’homme est obligé de ramper jusqu’à un endroit où il pourra être au calme, sans que cela ne perturbe les jeunes crétins, inconscients et insensibles.
Cette scène fait écho à une autre, plus tard dans le récit, où les ados saccagent un appartement bourgeois et laissent pour mort son propriétaire, après l’avoir drogué et humilié. Ce sont les deux séquences les plus réussies du film.
Pour le reste, Larry Clark accumule des vignettes érotiques qui se veulent provocantes, sans atteindre son but.Il suit deux adolescents parisiens qui décident de devenir escort pour se faire de l’argent de poche, couchant avec des vieilles femmes en quête de frissons ou de vieux homosexuels amateurs de chair fraîche. Et quand ils ne sont pas avec leurs client(e)s, ils participent à des partouzes entre jeunes, filmées par l’un d’entre eux avec un téléphone portable, font la fête, tâtent de la drogue ou glandent devant les jeux vidéo.
Cela pourrait avoir un intérêt si The Smell of us était un premier long-métrage. On trouverait alors cela audacieux, scandaleux, perturbant. Le hic, c’est que Larry Clark n’a quasiment filmé que des histoires de jeunes désoeuvrés, trompant l’ennui par le sexe, la drogue et la délinquance. On pense un peu à Bully, à Kids, à Ken Park, lorsque l’on regarde ce nouveau long-métrage. Et on se dit que ces films-là avaient une autre allure, et surtout, une structure plus aboutie.
Ici, on ne s’attache jamais vraiment aux personnages, et on reste de marbre face à leurs ébats, qui n’émoustillent plus guère que le cinéaste.
Les seules moments qui nous sortent un peu de l’ennui, en plus des séquences précitées, sont deux scènes étranges et déviantes : l’une où l’un des jeunes gigolos tombe sur un fétichiste du pied qui lui suce les orteils en psalmodiant “mon petit garçon… mon petit garçon…”, et la seconde montrant le même garçon quasiment violé par sa mère (Dominique Frot), apparemment ivre ou complètement folle. On peut y trouver là la représentation d’un inceste, un incident expliquant pourquoi le jeune homme cherche à se punir en faisant l’amour avec des inconnus. Cela donne une autre dimension au film, mais là encore, ce n’est pas franchement novateur.
On aurait aimé que Larry Clark utilise son talent pour raconter autre chose, qu’il prenne un peu plus de risques et livre un peu plus sa vision du monde actuel.
The Smell of us n’est pas totalement un mauvais film, mais il donne l’impression d’une certaine paresse, comme si le cinéaste américain se reposait désormais sur ses lauriers. Il ne suffit pas de convoquer les esprits de la Nouvelle Vague et de tourner en France pour que cela fonctionne. Il faut aussi travailler un peu…
Notre note : ●●○○○○
Les autres sections parallèles ferment les portes les unes après les autres.
Orizzonti s’est bouclée avec la projection de deux films que nous n’avons pas pu voir : Line of credit de la géorgienne Salomé Alexi et Nabat de Elçin Musaoglu.
La Semaine de la Critique a remis ses prix, dont deux à No one’s child du serbe Vuk Rsumovic. Là non plus, nous ne l’avons pas vu, car les échos en sortie de projection étaient plutôt négatifs, notamment parce que le film se positionne curieusement par rapport aux responsabilité s du conflit entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine.
Seule la section Venice Days fait encore durer le plaisir, en attendant le Messi d’Alex de la Iglesia et son biopic sur le célèbre footballeur argentin.
Sinon, il ne reste plus, maintenant, qu’à attendre fiévreusement le palmarès du jury présidé par Alexandre Desplats et à découvrir le film de clôture de cette 71ème Mostra.
Ciao et à demain pour la suite et la fin de nos chroniques vénitiennes.