Mémoires d'un escargotAdam Elliot ne travaille pas très vite. A son actif, il a “seulement” cinq courts-métrages et deux longs-métrages en trente ans de carrière. Mais cela tient au fait qu’il réalise des films en stop motion, patiemment animés image par image, et qu’il façonne ses personnages, ses décors et ses accessoires de façon artisanale, sans aucun recours à l’assistance digitale.
Adam Elliot travaille surtout très bien, réalisant des films à la patte unique, qui développent des thématiques très personnelles. Forcément, son travail a été remarqué et récompensé, lui permettant de remporter l’Oscar du meilleur court-métrage en 2004 (Harvie Krumpet) et à deux reprises le cristal du meilleur long-métrage d’animation au festival d’Annecy. D’abord en 2009 pour Mary & Max, magnifique histoire d’amitié entre une gamine solitaire et un adulte atteint d’autisme asperger. Puis en 2024 pour ce nouveau long-métrage, Mémoires d’un escargot, qui continue de dresser le portrait d’individus isolés, essayant de surmonter les nombreuses épreuves que leur impose la vie.

Ici, le personnage principal est Grace, une jeune femme australienne qui entretient une passion pour les escargots. Elle en élève quelques-uns, collectionne les objets à l’effigie des gastéropodes et porte constamment un bonnet en colimaçon. Cette manie curieuse vient peut-être du fait que Grace se sent elle-même un peu escargot, à cause de sa personnalité introvertie, sa difficulté à sortir de sa coquille pour aller de l’avant. Au début du film, elle aimerait se recroqueviller complètement sur elle-même et disparaître. Elle vient de perdre sa seule amie, Pinkie, une octogénaire excentrique auprès de qui elle avait trouvé une sorte de mère de substitution. Effondrée par son décès, elle décide de rendre leur liberté à ses escargots et envisage peut-être de se libérer à son tour du poids que la solitude fait peser sur ses épaules. Elle se remémore les moments-clés de son existence et les raconte à son escargot préféré, Sylvia.

Grace se remémore déjà sa jeunesse à Melbourne. Sa naissance, en même temps que son frère jumeau, Gilbert, la mort de leur mère suite à l’accouchement, la dépression et l’alcoolisme de leur père, ancien saltimbanque devenu paraplégique. Elle se rappelle des brimades des autres enfants, qui raillaient son bec-de-lièvre et sa timidité, et des interventions courageuses de son frère pour la protéger. Malgré un contexte compliqué, elle se souvient toutefois d’avoir vécu des moments heureux lors de cette partie de sa vie. Mais là encore, le destin s’est avéré cruel. A la mort de leur père, les deux enfants ont été envoyés dans des coins différents de l’Australie, Grace dans une famille d’accueil de Canberra, Gilbert dans une ferme tenue par des fondamentalistes religieux. L’adolescente a dû continuer à subir les moqueries et brimades de ses camarades, aussi idiots à Canberra qu’à Melbourne, mais cette fois-ci sans l’aide de son frère. Elle s’est réfugiée dans la confection de figurines en forme d’escargots, sa collection d’objets et l’élevage de gastéropodes, mais aussi dans le dessin et la lecture.
Elle se remémore aussi d’autres moments de sa vie, heureux ou moins heureux, comme la rencontre avec Pinkie, l’aide que cette dernière lui a apportée pour surmonter les moments douloureux de son existence, puis ses dernières semaines avec la vieille dame, atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Evidemment, résumé ainsi, on pourrait se dire que ce récit, qui empile les malheurs et les évènements dramatiques comme Grace accumule les objets, est profondément déprimant. C’est compter sans le talent d’Adam Elliot pour apporter de la poésie et de l’humour dans des environnements sombres et désespérés. L’humour est souvent noir, et correspond souvent à la seule échappatoire au désespoir, mais le cinéaste cherche constamment à mettre en exergue les choses positives, les petits riens qui font que la vie vaut d’être vécue malgré tout. Mémoires d’un escargot est une oeuvre constamment sur le fil, oscillant entre comique et tragique. Elle suscite forcément l’émotion, car il est difficile de ne pas compatir aux épreuves traversées par les personnages. En fonction de leur propre histoire, les spectateurs pourront être sensibles à la maladie, la mort de parents ou d’amis, le sentiment d’être rejeté à cause de sa différence ou d’être trahi par quelqu’un de confiance. Mais on se surprend souvent à sourire grâce à la fantaisie des personnages – celui de Pinkie, notamment – et la profonde tendresse que le cinéaste leur manifeste. Attention toutefois aux plus jeunes, qui pourraient être perturbés par plusieurs thèmes adultes évoqués par le film, que ce soit dans les moments cocasses ou les moments dramatiques (le vice du juge devenu SDF, les parents adoptifs adeptes de l’échangisme, le sort des maris de Pinkie…).

Le film amusera aussi les cinéphiles qui connaissent déjà l’oeuvre d’Adam Elliot, car on retrouve ça et là certaines des péripéties déclinées dans ses films précédents, mais sous d’autres formes, parfois inversées, parfois complémentaires.
Dans Uncle, par exemple, le personnage avait pour habitude d’écraser les escargots. Ici, Grace les adule et les protège. En revanche, ce sont les cochons d’Inde qui connaissent quelques déboires. Dans Brother, il était déjà question de la relation complice entre deux frères, brutalement séparés l’un à l’autre. Leur père était également un acrobate devenu paraplégique et alcoolique, comme le père de Grace et Gilbert – et le propre père du cinéaste. Le frère en question était atteint, comme Grace, de collectionnite aigüe (de mégots de cigarettes, pour sa part…). Gilbert libère les perruches du joug de leur horrible propriétaire, comme Harvie Krumpet, qui militait pour la libération des volailles et les faisait s’évader de leur poulailler. Harvie était aussi adepte du naturisme, un peu comme les parents adoptifs de Grace, qui sont ainsi prêts à l’action lors de leurs séjours échangistes…
De nombreux points communs émaillent les sept films d’Adam Elliot, qui, à travers ces portraits fictifs de frères, oncles, parents biologiques et adoptifs, parle de sa véritable famille, mais dresse aussi son autoportrait. Il y avait déjà beaucoup de lui dans le personnage de Mary, la jeune héroïne de Mary & Max, mais ici, Grace est tout à fait son double au féminin. Ce n’est pas un hasard si elle rêve de cinéma d’animation et trompe sa solitude dans la confection de figurines d’escargots.
Peut-être y a-t-il aussi un peu de lui également dans le personnage de Gilbert, tête brûlée fascinée par le feu et essayant de cultiver sa différence dans un univers très conservateur et étroit d’esprit.
En tout cas, Mémoires d’un escargot est son oeuvre la plus intime et personnelle. On y retrouve ses obsessions, ses thématiques, sa profonde tendresse envers les plus démunis, les handicapés, les “misfits”, ceux qui restent dans la marge et que tout le monde ignorerait s’il ne se trouvait, parfois, des auteurs pour les mettre en avant et vanter leurs qualités.

Alors oui, Adam Elliot tourne peu et travaille lentement, comme un escargot. Mais, comme ce gastéropode, il va toujours de l’avant et laisse une trace brillante. Ici une oeuvre riche de sept films. S’il a le temps et les moyens de ses ambitions, il lui restera donc deux films pour clore sa “Trilogie des trilogies”, composée de 3 courts-métrages (déjà finalisés), 3 moyens-métrages (2 déjà finalisés) et 3 longs-métrages (idem).
Suite, à priori dans quelques années. Il faudra se montrer patient.
En attendant, nous ne saurions que trop vous conseiller de découvrir ces très belles Mémoires d’un escargot et, si vous le pouvez, le reste de sa filmographie.


Mémoires d’un escargot
Memoir of a snail

Réalisateur : Adam Elliot
Avec les voix de : Sarah Snook, Jacki Weaver, Kodi Smit-McPhee, Eric Bana, Dominique Pinon, Nick Cave
Genre : Animation en stop-motion
Origine : Australie
Durée : 1h34
Date de sortie France : 15/01/2025

Contrepoints critiques :

”Il y en a qui adorent – le film a raflé le prestigieux Cristal du long-métrage au festival du film d’animation d’Annecy en juin dernier, mais nous, on a beaucoup de mal.”
(Renaud Baronian – Le Parisien)

”Mémoires d’un Escargot est un régal d’humour, à la fois noir, tournant la mort (de divers proches, mais aussi de cochons d’Inde…) ou la maladie en dérision, comme chacun des malheurs qui ont pu frapper l’existence de Grace au fil des ans”
(Olivier Bachelard – Abus de ciné)

Crédits photos : Copyright Arenamedia

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