Au dernier festival de Cannes, Michael (prononcer à l’allemande “Mie-chat-aile”), était un peu, avec Sleeping beauty, l’inconnue de la compétition.
Ce premier film de Markus Schleinzer, ancien collaborateur de Michael Haneke, a sans doute été sélectionné pour le parfum de scandale qui entourait son sujet – la pédophilie – et son approche – centrée sur le bourreau plutôt que sur la jeune victime…
Avant même d’être projeté, le film suscitait débat et interrogations, et la Croisette s’était préparée à un électrochoc…
Mais à l’arrivée, point de scandale, ni de grand enthousiasme. Michael n’a rien d’extraordinaire.
C’est même une oeuvre ordinaire qui dresse le portrait d’un homme ‘”ordinaire”.
Le personnage principal, le fameux “Michael” est un type banal. Ce n’est pas un monstre sanguinaire. Il n’est même pas marginal ou asocial. Il a un travail – employé dans une agence d’assurances – qu’il effectue sérieusement, au point de mériter des promotions. Il a une famille – une mère, une soeur, un neveu – et des amis, avec qui il part skier – très mal – le week-end. Il n’est pas repoussant : des filles s’intéressent à lui, même s’il fait mine de ne pas s’en apercevoir… Il n’habite pas un taudis perdu au coeur de la forêt ou une usine désaffectée, comme les méchants de films d’horreur, non. Plutôt un pavillon tranquille dans un quartier résidentiel tranquille. Bref, personne ne pourrait penser un seul instant qu’il est pédophile et qu’il retient prisonnier depuis plusieurs mois Wolfgang, un petit garçon de neuf ou dix ans…
On comprend bien la démarche de Markus Schleinzer. Il entend refuser tout voyeurisme et tout sensationnalisme, pour gagner en réalisme. A l’aide d’une mise en scène très rigoureuse, inspirée par la technique de ses mentors Michael Haneke ou Jessica Hausner, il cherche à humaniser au maximum ce personnage de pédophile pour ne pas tomber dans le cliché du psychopathe sadique et, ainsi, amplifier l’ignominie qui se joue hors-champ.
Ce qui est censé nous faire frissonner, c’est que ce Michael pourrait être notre voisin de palier, notre collègue, voire le spectateur assis à côté de nous dans la salle…
Oui, le bonhomme inquiète car en apparence, il a l’air tout à fait normal et qu’on ne peut pas vraiment deviner de quoi son esprit tourmenté est capable. Mais le film est hélas trop atone pour susciter un quelconque effroi et nous sommes trop abreuvés, par les informations, d’histoires sordides faisant intervenir actes pédophiles, enlèvements d’enfants et meurtres pour être véritablement choqués par ce film. D’ailleurs, ce dernier est lui-même inspiré par l’affaire Natasha Kampusch, cette jeune autrichienne séquestrée par un pédophile pendant huit ans, de 1998 à 2006, avant de réussir à s’échapper.
Ce qui pourrait être plus choquant, c’est le choix du metteur en scène de ne pas juger son personnage, voire d’en faire une sorte de victime.
Michael n’est pas un monstre. A l’écran, grâce à la performance impressionnante de Michael Fuith, il a surtout l’air d’être un pauvre type qui souffre d’une maladie psychologique. Il est à la fois un grand gamin qui n’a pas le sens des réalités, un homme souffrant d’impuissance sexuelle et d’un rapport compliqué aux personnes du sexe opposé. Un type plus solitaire qu’il ne le paraît, en mal d’affection…
Un type assez touchant, auquel on pourrait presque être tenté de s’identifier et pour lequel, en tout cas, le cinéaste nous force à éprouver une certaine empathie.
Ceci est d’autant plus aisé que le bonhomme n’a pas l’air d’être spécialement méchant avec l’enfant. Il est même plutôt attentionné, joue avec lui, l’éduque, le soigne si nécessaire. A vrai dire, si Wolfgang n’était pas enfermé chaque soir dans sa chambre, on croirait à une relation père-fils tout à fait normale.
Mais on voit que le gamin supporte de moins en moins sa captivité et la présence de Michael, qu’il est prêt à se rebeller contre son geôlier et ce qu’il lui fait subir hors champ. Et deux scènes viennent nous rappeler à une certaine réalité. La première est celle où le pédophile rejoue devant le gamin une scène de film qui l’a fait rire “ça c’est ma bite, ça c’est mon couteau. Tu préfères que je te plante ma bite ou mon couteau?”. “Le couteau” rétorque froidement l’enfant, que la blague ne fait pas rire du tout… La seconde montre Michael assis sur le lit de Wolfgang, s’apprêtant probablement à abuser de lui sexuellement…
Toute la difficulté du film est là. Il faut être capable de rester à bonne distance du personnage et de s’affranchir de la banalité des événements qui défilent sous nos yeux pour comprendre l’horreur de la situation. Mais là est le sujet du film : la frontière parfois très mince entre l’anormalité et la monstruosité, le décalage entre ce que l’on accepte et ce que l’on refuse de voir.
De ce point de vue, le film de Markus Schleinzer est réussi, car il va au bout de son idée en gardant la même mise en scène clinique de bout en bout, en refusant les artifices.
On peut saluer ce parti pris radical que n’aurait pas renié Michael Haneke. Mais on peut aussi trouver l’ensemble au choix, provocateur ou au contraire assez plat, à l’inverse, justement, de certains films glaçants du cinéaste autrichien. Et préférer d’autres approches du même sujet, plus classiques…
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Michael
Michael
Réalisateur : Markus Schleinzer
Avec : Michael Fuith, David Rauchenberger, Christine Kain,
Ursula Strauss, Viktor Tremmel
Origine : Autriche
Genre : portrait d’un pédophile ordinaire
Durée : 1h34
Date de sortie France : 09/11/2011
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : Le Figaro (avis négatif)
Libération (avis positif)
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