En attendant le 21 décembre 2012, date de la fin du monde selon le calendrier Maya, allez donc découvrir au cinéma Les Bêtes du sud sauvage.
Ainsi, si l’Humanité disparaît comme prévu, vous aurez au moins vu un bon film avant de mourir. Et si d’aventure, la Terre continue à tourner, vous aurez vu un bon film et vous pourrez en voir d’autres dans le futur, car son réalisateur, Benh Zeitlin, est un des jeunes cinéastes les plus prometteurs de sa génération. Il a d’ailleurs fort justement été récompensé de la Caméra d’or lors du dernier Festival de Cannes.
Cette petite allusion à la fin du Monde n’est pas qu’une boutade. Il flotte en effet un léger parfum d’apocalypse dans ce premier film de Benh Zeitlin, qui décrit la disparition non pas du Monde, mais d’un monde, la fin d’une communauté et d’un mode de vie.
Le jeune cinéaste nous entraîne dans un endroit appelé “La Baignoire” (The Bathtube), une bande de Terre située dans le delta du Mississippi, où quelques individus vivent à l’écart de la civilisation voisine, de l’autre côté de la digue. Cette communauté vit des fruits de la pêche, de la chasse, de l’élevage d’animaux et de cueillettes diverses. Et elle habite dans des cabanes de fortune, bricolées à partir d’objets récupérés.
Tout irait pour le mieux si la baignoire en question n’était pas en train de prendre l’eau… Cette partie du bayou est en effet menacée de disparition par la montée des eaux dans la région, de plus en plus manifeste. Les autorités ont donc décidé, par mesure de précaution, de faire évacuer la zone.
Mais certains habitants refusent de quitter leurs terres et leur mode de vie traditionnel et rentrent en résistance, comme Wink et sa fille de dix ans, Hushpuppy. Pourtant, la presqu’île sera bientôt totalement engloutie par les eaux. La végétation pourrit. Les animaux meurent. Les humains aussi…
La jeune Hushpuppy réalise soudain que ce père qu’elle pensait immortel, celui qui s’occupe d’elle depuis la disparition mystérieuse de sa mère, qui l’élève à la dure pour la préparer à affronter les dangers du monde, est malade et n’en a plus que pour que quelques jours à vivre.
Le vaudou ne peut plus rien faire pour lui, la médecine moderne non plus. Son coeur est fatigué, son sang est malade, et il dilapide ses dernières forces pour protéger sa fille contre le déchaînement des éléments et lui apprendre quelques petites choses essentielles à sa survie.
La gamine va notamment devoir affronter ses peurs et ses angoisses les plus profondes pour pouvoir accompagner son père jusqu’au bout du chemin et prendre sa propre route, laissant derrière elle son innocence enfantine.
La force de ce très beau film provient de la juxtaposition de trois éléments.
Le premier est la description quasi-documentaire d’un univers assez incroyable, hors du temps, où des hommes et des femmes vivent en autarcie, délibérément loin de la civilisation, et mènent une existence simple, frugale, probablement rude par moments, mais totalement libre. Incroyable, mais vrai, puisque le cinéaste s’est inspiré de l’île Jean-Charles, en Louisianne, peuplée notamment par des tribus indiennes vivant à l’écart de la civilisation (1).
Le second est une fable écologique très contemporaine. Le cinéaste y évoque la fonte des glaces polaires et les catastrophes climatiques qui y sont associées, de tempêtes en inondations, avec les conséquences que l’on connaît pour les régions côtières des Etats-Unis. En Louisiane, les ravages causés par l’ouragan Katrina sont encore dans toutes les mémoires… De nombreuses digues ont été construites ou renforcées pour éviter les inondations venues de l’Océan Atlantique. Cela n’est pas sans conséquences pour les habitants de “la baignoire” et des autres îlots. Les tempêtes charrient de l’eau de mer qui contamine l’eau potable, détruit la flore et empoisonne la faune et les digues retardent le drainage des terres. Seule solution possible pour éviter la destruction de leur “paradis” : faire sauter une digue, ce qui n’est pas vraiment du goût des autorités…
Enfin, le troisième élément, le plus beau, est la vision des évènements à travers des yeux d’enfant, ceux de la petite Hushpuppy. Une vision forcément déformée par la peur et la naïveté enfantine, quelque part entre la réalité et les fantasmes.
Le mélange de ces trois composantes donne un film envoûtant de bout en bout, qui nous plonge dans un univers sauvage, à la fois merveilleux et cauchemardesque. On y croise des humains courageux, en lutte contre les éléments, contre la civilisation, contre la disparition de leur monde, mais aussi des êtres extraordinaires, dotés de pouvoirs magiques, comme celui de comprendre les cris des animaux ou d’allumer le gaz simplement en passant à côté. Les animaux domestiques y côtoient des bêtes féroces fantasmées, imposants aurochs tout droit sortis de la préhistoire, et symbolisant les peurs enfantines.
Et, au milieu de tout cela, on observe la relation entre un père et sa fille, parfois heurtée, en raison du tempérament un peu rude du vieil homme et de son penchant pour l’alcool, parfois touchante, quand l’homme, conscient de sa fin prochaine, apprend à la gamine à se débrouiller seule, et finalement bouleversante, au moment des adieux, d’une infinie tendresse. Magnifique, tout simplement…
La mise en scène de Benh Zeitlin n’est pas étrangère à cette réussite. Le cinéaste compose ses plans comme des tableaux, jouant sur les lumières et les ombres, les ambiances, avec une énergie brute qui se ressent dans chaque séquence et un sens de la poésie très affirmé. En plus d’être un film très fort sur le plan des thèmes et des sujets abordés, Les Bêtes du Sud sauvage se paie le luxe d’être une formidable réussite esthétique et ce, malgré un manque de moyens financiers et techniques criant (le film a été tourné sur de la pellicule 16mm, avec une équipe recrutée localement).
Et, pour couronner le tout, le cinéaste démontre qu’il est un formidable dénicheur de talents et un très grand directeurs d’acteurs. Ses comédiens, non-professionnels pour la plupart, sont tous remarquables, de Levy Easterly à Gina Montana, de Lowell Landes à Jonshel Alexander. Sans oublier, bien sûr, le duo principal de cette histoire : Dwight Henry, boulanger à la ville (2), démontre qu’il est aussi un acteur fort convaincant dans le rôle de Wink, et la jeune Quvenzhané Wallis, formidable Hushpuppy, à qui beaucoup prédisent une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice pour sa performance.
Vous êtes encore là? Qu’attendez-vous donc pour aller découvrir au plus vite cette petite merveille cinématographique? D’accord, il n’est pas certain que les prédictions de Mayas et de Roland Emerich se vérifient, mais on ne sait jamais… Il serait dommage de passer à côté d’un des plus beaux films de cette fin d’année/fin du Monde…
(1) : Le film s’inspire de la pièce de “Juicy and Delicious” de Lucy Alibar pour la trame narrative, mais le cinéaste a choisi de planter le décor dans cette presqu’île de Louisiane inspirée par l’île Jean-Charles.
(2) : Il tient le Buttermilk drop à Treme, près de la Nouvelle-orléans.
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Les Bêtes du Sud sauvage Beast of the Southern wild Réalisateur : Benh Zeitlin Avec : Quvenzhané Wallis, Dwight Henry, Levy Easterly, Gina Montana, Lowell Landes, Jonshel Alexander Origine : Etats-Unis Genre : Conte de fées dans le Bayou Durée : 1h32 Date de sortie France : 12/12/2012 Note pour ce film : ●●●●●● Contrepoint critique : Télérama (critique contre) |
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