Bureaux d’Angle[s] de vue, 28/04/2010…
– Tiens, il y a un film des frères Safdie qui sort cette semaine… Lenny & the kids… PaKa, ça te dit d’écrire la critique?
– Ah? J’connais pas, moi… Ce sont des super-héros?
– Euh… Pas vraiment… Ce sont deux cinéastes indépendants new-yorkais, qui…
– Oh mon Dieu! Euh… Désolé, ‘faut qu’je file. J’dois m’construire une armure comme celle d’Iron Man pour aller me battre contre les vils lecteurs intellos qui pourfendent les adaptations de comics-books! Tchô! (1)
– Hé… Attends… Bon, d’accord… Marc-Georges, partant?
– Dis donc, c’est pas eux qui ont réalisé The pleasure of being robbed, il y a deux ans. Ce truc dont tu avais dit, je cite : “La désagréable sensation de s’être fait voler”? Tiens, je viens de me souvenir que je dois préparer mon émission de radio de la semaine prochaine…
Bon ben j’ai compris, c’est moi qui m’y colle…
Effectivement, j’avais détesté le premier film de ces deux jeunes cinéastes (2) : assez laid, assez vain, prétentieux derrière son apparente simplicité. C’est peu dire que je n’attendais pas avec impatience la suite de leur carrière…
Et pourtant…
Présenté l’an passé à la Quinzaine des réalisateurs sous le titre Go get some rosemary, leur nouveau film, Lenny & the kids est une agréable surprise, une oeuvre plus maîtrisée, plus drôle, plus profonde…
La forme ne change guère. Il s’agit encore d’une sorte d’errance dans la ville de New-York, filmée caméra à l’épaule, avec une certaine liberté de ton qui rappelle la Nouvelle Vague. Mais cette fois-ci, les deux frangins ont compris qu’il leur fallait des personnages un tant soit peu intéressants et une ébauche de script dans lequel les faire évoluer.
Soit donc Lenny, un quadragénaire totalement irresponsable, un grand gamin qui n’a jamais voulu ou su grandir. Son immaturité chronique a eu raison de son couple et désormais divorcé, il n’a la garde de ses enfants qu’une ou deux semaines tous les six mois. Et même là, il a du mal à assumer son rôle éducatif, un peu paumé entre un boulot aux horaires élastiques – il est projectionniste dans un cinéma – une vie sentimentale chaotique et des copains un peu trop envahissants.
Justement, c’est à l’une de ces périodes de garde paternelle qu’est consacré le film des frères Safdie.
Difficile de résumer cette oeuvre, où en définitive, il ne se passe pas grand chose. Juste une succession de petits moments de vie, de saynètes disparates tantôt amusantes, avec les pitreries de ce grand zigoto plus puéril que ses enfants – une partie de squatch animée, un tentative de tag sur un mur, tantôt effrayantes, quand Lenny, obligé d’aller travailler et ne voulant pas laisser ses enfants seuls, les gave de somnifères et force un peu la dose…
En fait, le film est aussi anarchique que la vie du personnage principal, aussi bordélique que le petit studio new-yorkais dans lequel s’entassent les personnages.
Cependant, grâce aux comédiens, dont l’épatant Ronald Bronstein, qui incarne Lenny, et aux situations cocasses auxquelles sont confrontés les personnages, on prend un certain plaisir à suivre ce petit film léger et libre comme l’air, dont le ton évoque celui des premiers films de Cassavetes ou de Jarmusch.
Mais alors que The pleasure of being robbed ressemblait à une tentative prétentieuse et ratée d’imiter ces deux immenses cinéastes, ce travail-là est plus dans le registre de l’hommage et colle parfaitement au sujet du film. Les frères Safdie célèbrent ici la figure paternelle. Leur propre père, qui ressemblait probablement beaucoup à ce Lenny. Et leurs pères de cinéma, les cinéastes qui les ont influencés, éduqués, formés… Des auteurs découverts, probablement, dans la cabine de projection de leur père.
L’oeuvre prend alors une dimension intime qui la rend particulièrement touchante.
Bon évidemment, tout n’est pas parfait, loin de là. Le talent des frères Safdie reste encore à démontrer avec des oeuvres plus ambitieuses et plus abouties. La désinvolture de l’ensemble risque fort d’agacer plus d’un spectateur et le film, très volatil, ne restera pas ancré dans les mémoires de cinéphiles.
Cela dit, on ne peut que noter les progrès des deux cinéastes et admettre que Lenny & the kids est un petit film au charme certain. Finalement – il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis – il faudra s’intéresser aux oeuvres ultérieures de Josh & Benny Safdie, peut-être de bons cinéastes en devenir…
(1) : lire la polémique opposant PaKa à Fred de “My screens” et Alexandre concernant le Top 10 des meilleures adaptations de comics-books
(2) : lire la critique sur le Blog Ciné de Boustoune
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Lenny & the kids
Go get some rosemary
Réalisateurs : Joshua Safdie, Benny Safdie
Avec : Ronald Bronstein, Sage Ranaldo, Frey Ranaldo, Eleonore Hendricks, Sean Williams, Abel Ferrara
Origine : Etats-Unis
Genre : Cinéma-liberté
Durée : 1h30
Date de sortie France : 28/04/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : abus de ciné
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[…] This post was mentioned on Twitter by Boustoune. Boustoune said: Nouvel article : : “Lenny & the kids” de Josh & Benny Safdie http://www.anglesdevue.com/2010/05/05/lenny-the-kids-de-josh-benny-safdie/ […]
Alors là, je ne valide pas les mots que tu me prêtes, mon cher Boustoune : que je me sauve quand tu compares le Alice du grand Tim au Alice tchèque (en bois) ou quand tu me parles d’un plan fixe de 3 heures sur une vache dans une barque, d’accord ; mais pas quand tu me lances sur des cineastes new-yorkais indépendants ! Tu connais suffisemment bien ma DVD-thèque idéale pour savoir que je ne suis point fermé au cinéma indé’, surtout s’il vient de la Grande Pomme… ville où vit Spidey, merde !
OK, je note que le prochain film des frères Safdie, c’est toi qui en rédiges la critique 🙂
Pour la peine, tu vas me regarder « The pleasure of being robbed », tu vas voir comme c’est fun !