Cette année, en marge de la compétition cannoise, c’est Francis Ford Coppola qui a créé l’évènement. Le réalisateur, auteur de monuments du septième art comme Le Parrain ou Apocalypse now, est venu présenter son nouveau film, Tetro, en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il était attendu ! Les projections ont occasionné quelques sérieuses bousculades dans les files d’attente, pour rien, puisque, à moins d’être un journaliste prestigieux ou un VIP, il était impossible d’entrer dans la salle…
Niveau animation, le film a donc beaucoup fait parler de lui. En revanche, ceux qui avaient eu la chance de découvrir le film livraient des impressions plutôt mitigées…Nombreux sont ceux qui ont alors dit qu’il s’agissait d’un film « mineur » dans la carrière du maître…
Alors que le film sort en ce moment dans nos salles, on peut se demander si ces spectateurs privilégiés ont bien vu le même film, ou s’ils ont une conception de l’art cinématographique radicalement opposées aux nôtres, car franchement si Tetro est une œuvre « mineure », que penser des œuvres insipides et bâclées qui polluent chaque semaine nos écrans ?
Disons le tout net : pour nous, le film de Coppola est un petit bijou de mise en scène. Baroque, libre, inventif et inspiré… Bref, une œuvre magnifique…
Certes, l’intrigue du film est beaucoup plus intimiste que les grandes fresques épiques dont le cinéaste nous a régalés par le passé, mais c’est totalement volontaire. Francis Ford Coppola a affirmé que l’immense succès rencontré par Le Parrain l’a entraîné malgré lui dans les rouages du système hollywoodien. Ce fût une aubaine au début de sa carrière, puisque cela lui assurait un certain confort financier et des moyens importants pour monter certains projets grandiloquents, puis une gêne considérable, lorsque le réalisateur, après avoir essuyé ses premiers échecs commerciaux, dût réaliser des œuvres de commande peu glorieuses pour le compte des studios. Mais surtout, ce système hollywoodien l’a toujours empêché de monter certains projets qui lui tenaient à cœur, des films moins commerciaux, plus personnels…
Le scénario de Tetro, il en a eu l’idée il y a de nombreuses années, s’inspirant de sa propre famille, de sa propre histoire. Mais ce n’est que maintenant qu’il a l’occasion de la mettre en images.
Le film raconte une sombre histoire de famille. A l’origine, il y a une brouille entre le père, un célèbre chef d’orchestre (incarné par Klaus Maria Brandauer) et Angelo, son fils aîné écrivain (Vincent Gallo). Au point que ce dernier ne décide de rompre définitivement les liens avec ses proches pour s’exiler en Argentine, où, sous le pseudonyme de Tetro, il a reconstruit sa vie.
Dix ans après, son jeune frère Bennie (Alden Ehrenreich), tout juste âgé de dix-huit ans, décide de le rejoindre à Buenos Aires, afin de comprendre les raisons de ce départ qu’il n’a jamais accepté. Sa venue ravive de vieilles blessures mal cicatrisées, et fait remonter à la surface de troubles secrets. Mais elle va aussi permettre à Tetro d’exorciser des événements douloureux et de retrouver un intérêt pour son art, l’écriture et le théâtre…
La relation à la fois tumultueuse et pleine d’affection qui unit Bennie et Tetro n’est pas sans évoquer le lien qui unissait Matt Dillon et Mickey Rourke dans Rusty James. D’ailleurs, les deux films se ressemblent. Dans Tetro, Vincent Gallo est fasciné par les papillons de nuit qui se brulent les ailes, mais continuent de voler vers la lumière ; dans Rusty James, Rourke était fasciné par des poissons exotiques. Les deux oeuvres sont en noir & blanc et traitent de liens fraternels et de perspectives d’avenir…
Coppola n’a jamais caché qu’il avait réalisé Rusty James en pensant aux relations qu’il avait avec son propre frère, August, à qui le film lui était d’ailleurs dédié.Mais si le script lui permettait d’aborder des sujets qui le touchaient personnellement, il restait malgré tout l’adaptation d’un roman. Ce n’est pas le cas de Tetro, un scénario que Francis Ford Coppola a écrit lui-même, une première depuis Conversation secrète.
Le cinéaste y prolonge cette exploration des relations fraternelles, cette fois à partir de ses propres souvenirs. Et il y ajoute aussi l’étude d’une relation père-fils qui elle aussi, prend des accents très intimes. En effet, comme le personnage joué par Klaus Maria Brandauer, le père du réalisateur, Carmine Coppola, était lui-aussi musicien et compositeur…
Cependant, Francis Ford Coppola se défend d’avoir fait de Tetro une autobiographie. Il s’agit juste d’une fiction aux forts accents autobiographiques. Tout y est faux, mais rien n’est inventé. Chaque situation fait écho à des situations vécues, chaque personnage évoque des personnes ayant existé, mais de façon détournée. Carmine Coppola était compositeur, certes, mais il n’était pas célèbre comme le personnage du film, et encore moins tyrannique avec ses enfants. C’est plutôt lui qui a souffert du succès de son frère Anton, célèbre chef d’orchestre… En fait, tous les protagonistes sont plutôt un mélange des différentes fortes personnalités qui forment le clan Coppola et illustrent la difficulté de grandir dans une véritable dynastie d’artistes célèbres. Pour rappel, outre les aînés musiciens, le clan se compose de producteurs de cinéma, d’écrivains (August Coppola) de réalisateurs (Sofia, Roman et Christopher Coppola) et d’acteurs (Talia Shire, Nicolas Cage, Jason Schwartzman). Rien que ça…
Ici, la rivalité artistique est au cœur du film et des problématiques qui y sont exposées. Le besoin de reconnaissance, de notoriété, prend le pas sur les liens affectifs, occasionnant des situations monstrueuses, aberrantes et finalement, dramatique. Le père d’Angelo a réussi à obtenir la gloire désirée et le respect de ses pairs, il a satisfait tous ses désirs personnels. Mais il l’a fait égoïstement, en sacrifiant au passage sa propre famille. Tetro refuse cet état d’esprit. Il ne tient pas à devenir comme son père. Il fuit l’exposition médiatique, le feu des projecteurs, qu’il assimile à cette lumière aveuglante qui attire les papillons et les mène à leur perte… Alors, il préfère rester dans l’ombre, renoncer à publier ses écrits, pourtant magnifiques. C’est l’énergie et la détermination de Bennie qui vont l’aider à trouver l’équilibre entre l’envie d’exprimer son art et le besoin d’anonymat et de tranquillité…
Tetro est donc un film torturé sur des relations familiales complexes, dans la droite ligne de la trilogie du Parrain, le côté politique et mafieux en moins, doublé d’une belle réflexion sur l’art et la célébrité, presque inattendue de la part d’un cinéaste orgueilleux et reconnu comme Francis Ford Coppola…
Cela aurait presque suffi à notre bonheur de spectateur, mais Coppola nous propose quelque chose d’encore plus fort, grâce à l’élégante perfection de sa mise en scène et le cachet visuel qu’il a su conférer à son film, avec l’aide du chef-opérateur Mihai Malaimare Jr.
Déjà, le cinéaste prend le temps de bien poser les relations entre les deux frères, laissant aux interprètes tout le loisir d’exprimer leur jeu, impeccable. Saluons au passage les performances de Vincent Gallo (Tetro), toujours aussi intense, habité par son rôle, et d’Alden Ehrenreich, impressionnant de charisme pour ce qui constitue son premier grand rôle à l’écran.
Toute la première partie du film donne l’impression d’explorer au plus près l’âme des personnages, avec un style qui évoque à la fois la densité des grands films d’Elia Kazan, le ton très libre des premières œuvres de John Cassavetes et le néoréalisme italien. Le tout dans un noir et blanc sublime.
Puis le film bascule dans une sorte de fièvre baroque, qui évoque, cette fois, le travail de Michael Powell, avec notamment d’étonnante séquences dansées, en couleur, aussi oniriques que les séquences en noir & blanc sont réalistes. Le cinéaste multiplie les cadrages d’une précision rare et les trouvailles de mise en scène, enchante par un montage visuel et sonore sans faille.
Un tel degré de maîtrise du langage cinématographique ne peut que laisser pantois le plus blasé des cinéphiles… Surtout venant de la part d’un homme qui n’a plus rien à prouver.
Alors que certains grands cinéastes ont fini par s’essouffler ou par se reposer un peu trop sur leurs lauriers, Francis Ford Coppola prouve qu’on peut encore se renouveler et enchanter le public, même en ayant atteint l’âge honorable de soixante-dix ans !
Franchement, des films « mineurs » comme celui-ci, on en redemande : Tetro est une œuvre magnifique, une des plus belles surprises de cette année cinématographique 2009…
_____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________
Tetro
Tetro
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Avec : Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Maribel Verdu, Carmen Maura, Klaus-Maria Brandauer
Origine : Etats-Unis
Genre : drame familial baroque
Durée : 2h07
Date de sortie France : 23/12/2009
Note pour ce film : ˜˜˜˜˜˜
contrepoint critique chez : Les routes de la critique
_________________________________________________________________________________________________________________________________________