Assis à la table du salon, un type vocalise des “cocorico” pour pousser son coq à chanter. Mais rien à faire, le volatile refuse de pousser le moindre son, délaissant ainsi la lourde tâche d’annoncer le jour.
Ce premier incident est le premier signe du désastre qui va s’abattre sur ce village rural des Ardennes Belges.
Bientôt, le climat va se dérègler, les vaches ne vont plus donner de lait, les abeilles vont disparaître, le sol va rester stérile et les vergers vont pourrir, les poissons vont mourir…
Une Apocalypse écologique due à un phénomène incompréhensible : le printemps n’est pas revenu. Les hommes tentent de s’adapter à cette “cinquième saison” où la nature semble décliner de jour en jour. Ils prennent tout d’abord leur mal en patience, mais, victimes de la faim et du froid, finissent par lâcher prise, retrouvant du même coup des instincts animaux primitifs.
A partir de cette trame narrative, Peter Brosens et Jessica Woodworth livrent une formidable fable fantastique, qui commence comme une comédie absurde, dans l’esprit des films du néerlandais Alex Van Warmerdam, avant de basculer vers quelque chose de beaucoup plus sombre et terrifiant au fil des minutes.
Terrifiant, parce que la catastrophe écologique qu’ils décrivent n’est pas si inenvisageable que cela.
On constate déjà les effets du dérèglement climatique, entre périodes de sècheresse, orages violents et tempêtes dévastatrices. De nombreuses espèces animales ou végétales disparaissent, victimes des déforestations et des monocultures intensives. Et le nombre d’abeilles diminue de manière inquiétante, avec ce que cela implique comme conséquence sur la pollinisation des fleurs.
“Ce n’est la faute de personne” affirme un des personnages du film. “C’est la faute de tout le monde” le contredit un autre.
Pour les réalisateurs, il ne fait aucun doute que c’est bien l’être humain qui est responsable de ce problème. A force de maltraiter la Nature, de tenter d’augmenter le rendement des sols par des doses croissantes d’engrais et de pesticides, de polluer l’environnement avec les gaz d’échappement, la production industrielle, les déchets, il se pourrait bien, comme dans le film, qu’elle finisse par mourir. Ou du moins, cesse d’être généreuse avec l’Homme.
Il est peut être encore temps de réagir. D’arrêter de “faire les autruches” – peut-être est-ce la signification du plan final – et d’ouvrir les yeux sur l’état du Monde. A moins qu’il ne soit déjà trop tard, et que l’humanité ne soit déjà condamnée, victime des comportements individualistes et de l’égoïsme ambiant.
A vrai dire, si le microcosme dépeint par Peter Brosens et Jessica Woodworth est représentatif de la population mondiale, l’affaire est mal engagée.
Plutôt que de s’entraider dans la difficulté, les villageois ne pensent qu’à leurs intérêts personnels. Ceux qui possèdent encore des denrées alimentaires les monnayent au prix fort, ce qui conduit évidemment à d’effroyables dérives, à l’image de ces jeunes femmes obligées de se prostituer pour 500 grammes de sucre. Et poussés à bout, certains cèdent à leurs pulsions violentes et destructrices.
Le peu de cohésion qui reste dans cette communauté ne ressortira que pour désigner un bouc-émissaire, supposément responsable de tous les maux : le dernier arrivé au village, l”étranger”. Qu’importe si cet homme, ancien philosophe, est le plus sage d’entre tous et le plus altruiste. Il devra faire face à la vindicte populaire, à tous ces individus masqués, retournés à l’état sauvage, symboles d’un néo-obscurantisme.
Oui, le pessimisme est de mise dans La Cinquième saison. Le film est hanté par l’idée de la disparition. Disparition du printemps, des animaux, de la végétation, de ceux qui préfèrent aller voir ailleurs si l’herbe y est plus… enfin, y est tout court. Disparition de l’amour, des traces d’humanité, de la vie en général. Et quand l’espoir arrive au village, sous la forme d’un camion transportant “les fleurs de l’espoir”, il s’agit de fleurs en plastique… Même l’espoir est un leurre, un factice. Pas de doute, nous sommes condamnés…
On sera en revanche plus optimistes quant à la suite de la carrière de ce duo de cinéastes qui s’affirment, de film en film, comme des cinéastes majeurs. Après deux films remarqués dans les festivals (Khadak, Lion du Futur à Venise en 2006 et Altiplano, sélectionné à Cannes à la Semaine de la Critique), ils signent avec La Cinquième saison une oeuvre remarquable, thématiquement forte et esthétiquement sublime.
Chaque plan est en effet une pure merveille. Les images bénéficient de cadrages d’une précision chirurgicale et de jeux de lumières de toute beauté. Les mouvements de caméra sont rares et très lents mais toujours élégants et pleins de sens. On est vraiment frappés par la force évocatrice de ces compositions visuelles, dignes de toiles de Maîtres.
L’ambiance sonore, elle aussi très soignée avec sa combinaison de musique classique (Mozart, Bizet,…), de musique originale, signée Michel Schöpping, et de cris d’animaux, participe également à l’impact de l’oeuvre.
Quant aux acteurs, ils sont tous très justes, à commencer par la jeune Aurélia Poirier et l’expérimenté Sam Louwyck.
Contrairement au jury de la dernière Mostra de Venise, qui l’a snobé en l’excluant du palmarès, nous ne risquons pas d’oublier ce très beau film, que nous vous recommandons vivement de découvrir en salle, malgré le beau temps estival. Profitez-en, peut-être qu’un jour le printemps ne reviendra plus…
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La Cinquième saison Het Vijdfe seizoen Réalisateurs : Peter Brosens, Jessica Woodworth Avec : Aurélia Poirier, Sam Louwyck, Django Schrevens, Gill Vancompernolle, Peter Van den Begin Origine : Belgique, Pays-Bas, France Genre : Apocalypse ecolo Durée : 1h33 Date de sortie France : 23/07/2013 Note pour ce film : ●●●●●● Contrepoint critique : Télérama |
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