Rendez-vous annuel du cinéma et des cultures latino-américaines, le Festival de Biarritz a tenu sa 22ème édition du 30 septembre au 6 octobre 2013.
Lors de la cérémonie d’ouverture, à la gare du Midi, Marc Bonduel, le délégué général de la manifestation, avait promis que cette année 2013 serait celle du Chili. A l’occasion du 40ème anniversaire du coup d’état qui a coûté la vie du Président Salvador Allende et plongé le Chili sous le joug du Général Pinochet pendant une longue période de dictature, les organisateurs avaient décidé de faire la part belle à la cinématographie venue de ce pays, à travers une large rétrospective mélangeant documentaires et fictions. Et deux films venus du Chili étaient en compétition : El Verano do los peces voladores et El Tio.
Promesse tenue : Le premier a reçu le prix du syndicat de la critique, le second a été récompensé du prix du jury.
El Tio suit le parcours d’Ignacio, qui veut monter une pièce de théâtre, sur son oncle, qui n’était autre que Jaime Guzman Errázuriz, le conseiller du général Pinochet pendant la dictature. Un personnage peu recommandable, dont la simple évocation du nom suscite des réactions négatives. Mais le jeune homme s’accroche et continue son travail, qui réveille des souvenirs douloureux .
Il s’agit d’une oeuvre très bien orchestrée, qui entremêle avec élégance et finesse passé et présent. Les personnages sont parfaitement campés par des acteurs épatants.
El verano do los peces voladores, également présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, à Cannes, cette année, est un film baignant dans une atmosphère assez étrange, envoûtante. On y suit l’été particulier d’une adolescente rebelle, fille d’un riche propriétaire terrien, qui subit sa première déception sentimentale et ouvre les yeux sur le traitement infligé aux ouvriers Mapuche. Il s’agit d’une oeuvre sensorielle, jouant beaucoup sur la puissance évocatrice du décor pour évoquer l’imminence d’une catastrophe.
La compétition était globalement d’un bon niveau, avec des films venus du Chili, donc, mais aussi du Mexique, du Brésil, de l’Argentine, du Venezuela et du Paraguay.
Workers, le film du mexicain Jose Luis Valle a reçu l’Abrazo du meilleur long métrage.
Le cinéaste y entremêle deux histoires. D’un côté celle de Rafael, balayeur dans une fabrique d’ampoules électrique. L’homme, usé, veut faire valoir ses droits à la retraite, mais il réalise que son patron lui a joué un sale tour. Pendant ses trente ans de service, il n’a pas été déclaré et ne peut donc prétendre à une pension pourtant bien méritée. Il va se venger de façon pour le moins originale…
De l’autre, il y a l’histoire de Lidia, qui fait partie du personnel s’occupant d’une vieille mexicaine très riche. Quand cette dernière décède, elle lègue sa fortune à… sa chienne! Les employées goûtent peu cette ironie du sort. Après la colère et l’indignation, elles vont utiliser une ruse pour rétablir la situation… On passe un agréable moment de cinéma en compagnie de ces personnages gentiment décalés, qui illustrent à leur manière les différences de classes sociales au Mexique.
Le prix du public est revenu à 7 Cajas, un drôle de thriller paraguayen, articulé autour de sept caisses au contenu mystérieux. Victor, un jeune garçon de 17 ans, qui survit en effectuant des livraisons sur le gigantesque marché d’Asuncion, se voit proposer une course très lucrative. 100 $ pour aller livrer les caisses à l’autre bout du marché, à une adresse qui lui sera communiquée ultérieurement. Evidemment, le garçon accepte. Mais les choses se compliquent quand son rival, furieux d’avoir raté la mission, se met à le poursuivre dans les allées labyrinthiques du marché. Il doit l’éviter, lui et sa bande , ainsi que les policiers, intrigués par le contenu des fameuses caisses mais aussi tous les voleurs à l’affût des bonnes occasions.
Les cinéastes, Juan Carlos Maneglia et Tana Schémbori signent une oeuvre au rythme haletant, plutôt efficace malgré le faible budget du film, et portée par de jeunes comédiens épatants.
Parmi les réussites de cette 22ème édition, citons également Wakolda, de l’argentine Lucia Puenzo, qui nous avait déjà présenté XXY, il y a quelques années.
Le film se déroule dans les années 1960. Il raconte l’histoire d’une étrange amitié entre un médecin allemand venu s’installer en Argentine, et une petite fille de douze ans. Peu à peu, il gagne la confiance de la fillette et de sa mère, au grand dam du père, hostile à cet étrange étranger et il s’incruste au sein de cette famille. Le malaise grandit à mesure que nous découvrons l’identité de ce personnage. Ceux qui ont vu Ces garçons qui venaient du Brésil comprendront assez vite, au vu des recherches menées par le médecin, de qui il s’agit.
A partir du parcours supposé du criminel nazi Josef Mengele en Amérique du Sud, après la seconde guerre mondiale, Lucia Puenzo signe un film fort, dérangeant, baignant lui aussi dans une ambiance particulière, à la lisière du fantastique.
Elle était l’une des six femmes en compétition cette année, sur dix films présentés. Nous tenons à souligner l’importance de ce contingent de films féminins. L’Amérique du Sud nous donneraient-elle une belle leçon de parité homme/femme à travers ses cinématographies?
Parmi les oeuvres remarquées lors de ce festival se trouvait justement un de ces films de femmes : Les Drôles de poissons-chats de la mexicaine Claudia Sainte-Luce. C’est l’histoire d’une belle rencontre entre Claudia, une jeune femme solitaire, et Martha, mère d’une famille de quatre enfants turbulents. Claudia est admise à l’hôpital pour une crise d’appendicite. Martha y reçoit des soins pour une maladie un peu plus sérieuse. Malgré le cadre sordide de l’hôpital, elles sympathisent. Au point que Martha invite Claudia à s’installer chez elle. Alors que la santé de Martha décline, Claudia se crée sa place au sein du clan.
Un film réalisé par une femme, donc, mais aussi interprété par un beau casting féminin, d’ailleurs récompensé d’un prix d’interprétation collectif.
Le prix d’interprétation masculine, lui, a été remis à Lisandro Rodríguez pour le film argentin La Paz.
Outre la compétition de longs-métrages de fiction, le festival de Biarritz propose une belle sélection de documentaires.
Attardons-nous un instant sur quelques-uns qui nous ont semblé intéressants :
El Impenetrable des argentins Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini a reçu l’Abrazo du meilleur documentaire. Il raconte les déboires de Daniele Incalcaterra qui a hérité, avec son frère, d’un terrain jadis acheté par leur père , au cœur de la forêt du Chaco, au Paraguay. Quand il réclame les droits sur ses terres, il se heurte aux propriétaires terriens locaux, qui déboisent pour y développer un espace d’agriculture intensive. Il se retrouve ainsi pris dans des imbroglios administratifs pour faire valoir ses droits et empêcher l’exploitation abusive de ses terres.
Le film est une jolie réflexion sur la notion de propriété et de droit du sol, abordant également la question des indiens guarani, propriétaires historiques des terrains en question.
Adios Padresitos nous vient de l’Equateur. Le film de Javier Macipe nous parle du combat mené par des prêtres espagnols, installés dans la province de Sucumbios, en Amazonie équatorienne, contre leurs supérieurs au Vatican. Les prêtres en question ont été excommuniés et chassés de leur mission par les instances vaticanes, qui les considéraient comme des révolutionnaires gênants. Juste parce qu’ils s’opposaient aux dérives libérales d’industriels locaux cherchant à exploiter les richesses pétrolières du secteur.
Un autre film, présenté dans le cadre du focus sur le cinéma chilien, a attiré notre attention. Celui réalisé par un membre du jury fiction, le chilien Ramuntcho Matta. Intimatta nous raconte l’histoire de son père, Roberto Matta, qui a fait ses débuts comme architecte auprès de Le Corbusier, avant de rencontrer Dali, Breton et devenir artiste-peintre à son tour. L’homme a peint des toiles surréalistes s’inspirant d’évènements historiques, tel que le procès des Rosenberg.
Etonnant, le film nous entraîne dans l’univers de cet artiste, en mélangeant scènes de la vie quotidienne et moments surréalistes. Il pose également la question de la transmission de ce patrimoine important.
Outre les films, de bonne facture, le festival repose aussi sur son ambiance chaleureuse. Nombreuses animations, démonstrations de danse, concerts… Tout était réuni pour une fête parfaite, le point culminant de la manifestation ayant sans doute été le concert exceptionnel de Paco Ibanez.
Nous repartons de Biarritz avec les yeux chargés d’étoiles, les oreilles pleines de belles mélodies et le coeur rempli de beaux souvenirs.
Merci aux organisateurs de continuer à oeuvrer ainsi pour la découverte des cinématographies et des cultures des pays d’Amérique latine, et longue vie au festival de Biarritz! E viva Biarritz!
Vous trouverez ci-après le palmarès complet de la manifestation :
Abrazo du meilleur long-métrage fiction : | Workers de Jose Luis Valle (Mexique) |
Prix du Jury long-métrage fiction: |
El Tio de Mateo Iribarren (Chili) |
Prix d’interprétation féminine : | l’ensemble des actrices de Les Drôles de poissons-chats (Mexique) |
Prix d’interprétation masculine : | Lisandro Rodriguez pour La Paz (Argentine) |
Prix de la Critique : | El verano do los peces voladores de Marcela Said |
Prix du public : | 7 Cajas de Juan Carlos Maneglia et Tana Schémbori (Paraguay) |
Abrazo du meilleur documentaire : | El Impenetrable de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini (Argentine) |
mention spéciale : | Madera de Daniel Kvitko (Cuba) |
prix du public documentaire : |
Ensayo de una nacion d’Alexis Roitman (Argentine) |
Abrazo du meilleur court-métrage : | Solecito de Oscar Ruiz Navia (Colombie) |
2ème prix court-métrage : |
La Noria de Karla Castañeda (Mexique) |