Ayant appris la veille par un informateur bien au courant des pratiques locales, de la tenue d’une séance de presse ultra-privée dès 8h30 le matin, je me levai aux aurores et filai vers la salle de projection pour y découvrir le nouveau film d’Alexandre Arcady, Comme les cinq doigts de la main.
Je n’eus aucun mal à pénétrer dans les lieux : les journalistes avaient manifestement dû abuser de la bouteille la veille, vu que nous n’étions une dizaine de courageux à avoir fait le déplacement.
A l’issue de la projection, je me dis que j’aurais mieux fait de rester couché, tant le film était épouvantablement mauvais : situations peu crédibles, mise en scène peu inventive, musique omniprésente – et horripilante – et acteurs jouant tous faux, ou presque… Pas de grand pardon pour ce petit film…
J’enchaînai immédiatement avec un film thaïlandais, Slice, premier film de la sélection “Sang neuf”. D’emblée, j’eus mal au crâne, et pas seulement à cause de la bouteille de Corton grand cru que je m’étais accordée pour effacer l’idée de m’être levé tôt pour voir un nanar arcadyen. Le film démarre en effet de façon assez confuse – montage speed, image DV assez laide, meurtres baroques commis par un tueur entièrement emmitouflé dans un grand drap rouge. Mais que fait la police? Difficile de croire qu’un gars puisse se balader comme ça dans les rues sans être arrêté… Après ce début assez catastrophique, qui donne le tournis, le rythme du film se pose un peu plus, et on découvre au fur et à mesure le profil du tueur, en fait un pauvre type victime de brimades et de sévices sexuels durant son adolescence, cherchant aujourd’hui à se venger de tous ceux qui lui ont fait du mal… Une histoire assez sordide, qui débouche sur une romance assez atypique et totalement désespérée…
L’ensemble ne me sembla pas inintéressant, mais me laissa malgré tout une impression mitigée…
© Laurent Olivier
La journée ne commençai pas très bien. Je m’apprêtais à me remonter le moral devant un bon repas quand j’appris que le grand Sam Jackson donnait une conférence de presse à l’intérieur du cinéma. Mieux qu’un steak…
Seul problème, il fallait une nouvelle fois contourner l’obstacle constitué par le gorille à l’entrée, aussi peu aimable que la veille. Peut-être avait-il aussi été agacé par la médiocrité du film d’Arcady ?
“Vous n’avez pas le bon badge, vous n’entrez pas!” m’apostropha-t-il, l’air mauvais. J’eus soudain envie de lui balancer mon poing à la figure, histoire de montrer qui c’est Raoul à ce Passepartout de festival, maître des clés totalement décérébré, mais je me retins. Quand on veut voir un gars qui a été maître Jedi, on évite la violence et on utilise la force… J’usais donc de mon pouvoir de persuasion sur le chef de la sécurité, qui me fit entrer illico dans une salle de presse quasi déserte. Les gars de la presse avait dû vraiment abuser de la bouteille pour n’être toujours pas levés à 13h…
Le grand Sam, bien plus décontracté que la veille, en survêt-béret très à la coule, nous fit l’honneur d’une petite discussion sympathique, animée par l’excellent David Rault, l’homme qui traduit plus vite que son ombre…
Pas le temps de manger un morceau que déjà, il fallait enchaîner avec le film suivant : The killer inside me. La faim ne me tirailla pas longtemps… Je fus estomaqué – et enthousiasmé – par la violence et l’humour froid, cynique du film de Michael Winterbottom, un film noir à l’ancienne, adapté d’un roman de Jim Thompson particulièrement pervers et déviant. Ici, on ne suit pas un antihéros plongé dans un engrenage qui le dépasse, mais un psychopathe sans foi ni loi, se contentant de défendre ses intérêts par le meurtre brutal et sadique… Certaines scènes, dérangeantes, sont particulièrement mémorables. De quoi vous couper l’appétit…
Le film suivant n’allait pas améliorer les choses. Backyard utilise comme toile de fond une histoire vraie, les enlèvement et meurtres de femmes à Ciudad Juarez, à la frontière mexicaine.
Décidemment, entre les femmes tabassées à mort de The killer inside me et les femmes violées/torturées/exécutées de Backyard, ce fût la journée de la femme à Beaune – de la femme battue, certes, mais bon…
Comme Les oubliées de Juarez, le film montre les efforts conjoints d’une femme-flic idéaliste et de personnages hostiles au système : un animateur radio rebelle et une assistante sociale déterminée, pour résoudre l’énigme de ces centaines de disparitions. Simplement, Carlos Carrera a le bon goût de le faire de façon bien plus crédible et convaincante que le film de Gregory Nava.
Niveau qualité des films, l’après-midi se déroulait donc bien mieux que la matinée. Les deux films présentés avaient été certes très noirs et violents, mais de très bonne facture…
En sortant de la salle, je tombai sur une monumentale cohue autour du Cap Cinéma. Une manifestation de Sud-Rail ? Une émeute du peuple exigeant d’accéder aux projections? Une attaque de zombies mutants contaminés par un pichet de gros rouge frelaté ?
Non, juste la présence sur le tapis rouge du clan Arcady, avec Alexandre Arcady, Françoise Fabian, Mathieu Delarive et surtout Patriiiiick Bruel. Le joueur de poker le plus célèbre de France réussit à faire tomber en pamoison quelques jeunes donzelles au bord de la crise de nerfs, tout près de s’évanouir quand il leur signa quelques autographes et posa avec elles pour des photos…
Le type qui suivait juste derrière n’eut pas droit aux mêmes débordements d’enthousiasme. Pourtant, il aurait lui aussi mérité applaudissements et respect puisqu’il s’agissait de James Gray, le cinéaste de Little Odessa, The Yards ou La nuit nous appartient, des polars autrement plus réussis que les collaborations Bruel/Arcady… Mais bon, il ne fallait pas s’attendre à ce que le groupe de collégiennes hystériques venues juste pour Patriiiiick connaisse le cinéaste américain…
J’abandonnai ce zoo pour reprendre le chemin des salles obscures.
Après le Texas et le Mexique, le quatrième film de la compétition officielle nous entraînait encore plus au sud, en Argentine plus exactement.
Je découvris enfin Dans ses yeux, le long-métrage qui avait remporté l’Oscar du Meilleur film étranger au nez et à la barbe des favoris, Un prophète et Le Ruban blanc. Un hold-up parfait, car le film de Juan José Campanella, bien que très bon, n’était assurément pas du niveau des œuvres d’Haneke et Audiard… Cela dit, je pris beaucoup de plaisir à le voir, grâce à son scénario habile, sa mise en scène élégante et ses acteurs impeccables, dont Ricardo Darin, déjà vu dans Les 9 reines, jadis primé à Cognac… En sortant de la salle, mon cerveau était en ébullition, réfléchissant aux questions complexe de la justice et du châtiment, de pouvoir et de corruption…
Mais je n’eus pas le temps de gamberger. L’ultime séance de la journée allait commencer : un documentaire sur James Gray intitulé, ô jeu de mot télévisuel, James Gray’s anatomy. Une belle plongée dans l’univers du cinéaste américain, décortiquant sa façon de travailler, sa relation avec ses acteurs, notamment les raisons de sa brouille avec Tim Roth et l’amitié qui le lie à Joaquin Phoenix, ses influences et son parcours…
Le ventre vide, le gosier sec, les yeux rouges et le crâne rempli d’images, je rentrai à l’hôtel et m’effondrai pour une nuit de sommeil bien méritée…