Tout commença un mercredi d’avril…
Les habitants de la banlieue parisienne – et moi dans le lot – se réveillèrent sous un ciel anthracite, un vent glacial et une pluie battante. De quoi plomber le moral de n’importe quel homme normalement constitué, même après qu’il se soit gavé de chocolats pendant le week-end pascal…
Et les infos à la radio n’arrangèrent guère les choses : “Aujourd’hui, journée noire à la SNCF. Le trafic sera fortement perturbé par un mouvement grève des cheminots qui entendent protester contre le manque de moyens a réorganisation du fret…”
Je fulminai intérieurement, ne comprenant pas pourquoi les usagers des transports en commun devaient être pris en otage dans cette histoire de fret. A moins que les cheminots n’aient considéré les personnes qu’ils véhiculent quotidiennement comme de vulgaires marchandises.
Et comble de malheur, ce mouvement social tombait pile le jour où j’avais un important rendez-vous, à l’autre bout de Paname, pour me dégoter un nouveau job…
Il me faut ici préciser que je m’étais fait virer quelques mois plus tôt, de mon emploi de critique de films pour le magazine Le Blog vert.
J’avais dit tout haut que je pensais que Tim Burton n’était qu’un gnome loufoque, un infâme tâcheron à la solde de Disney. Manque de bol, mon rédac-chef était derrière mon dos à ce moment-là. Et Monsieur PaKa, sorte de Jonah Jameson qui aimerait beaucoup Spiderman, italien impulsif façon Joe Pesci dans Les Affranchis de Scorsese, mais en moins gros, était un inconditionnel absolu du réalisateur de Edward aux mains d’argent.
Résultat : une mandale, un licenciement pour faute lourde et l’impossibilité de trouver du travail ailleurs après que ce psycho’ Pat’ m’ait fait une réputation désastreuse au sein de la profession.
Depuis, je galérais méchamment. J’étais seul, sans le sou et sur le point d’être expulsé de mon minuscule studio… Cet entretien d’embauche était donc crucial pour moi, vital même.
Je me préparai en quatrième vitesse et fonçai vers la gare RER la plus proche. Sur place, cauchemar total : apparemment, les trains circulaient très mal ou très peu. Des centaines de voyageurs mal réveillés attendaient sur le quai un hypothétique train en direction de la capitale. L’horloge tournait, menaçant de me faire rater la correspondance en gare de Lyon, et donc le précieux rendez-vous. Le train finit par arriver. Nous nous entassâmes dans la rame étroite, qui ressembla alors à un wagon de bestiaux menés à l’abattoir. Au passage, je compris un peu mieux la relation entre cette grève et le fret…
Arrivé gare de Lyon, il ne me restait que deux minutes pour attraper ma correspondance. Je piquai un sprint dans les couloirs de la gare, bousculant au passage de pauvres hères aussi en retard que moi, et parvins à sauter dans le train, qui partit une poignée de secondes plus tard. Soulagement…
… Puis désespoir total, quand je compris que, dans la précipitation, je m’étais trompé de quai… Le train ne m’emmenait pas vers l’Eden tant attendu, m’en éloignait même, en m’entraînant en Province. J’eus des sueurs froides quand le conducteur annonça enfin notre destination : Beaune, en Côte d’Or…
Beaune, capitale des vins de Bourgogne… Mon seul vice, mon seul péché…
Le nom évoquait pour moi de lointains souvenirs. Quand, entraîné par ma passion pour la Dive Bouteille, je me soûlais à coups de grands crus millésimés… Des cuites mémorables, dantesques, au cours de routes des vins agitées… Je m’étais mis dans des états éthyliques tels que j’arrivais à comprendre du premier coup le Inland empire de David Lynch. Ma santé mentale était en péril… Aussi, j’avais pris la décision de ne plus toucher une goutte d’alcool.
Et voilà que ce train de la mort m’entraînait tout droit dans la gueule du mouds, dans cette ville aux mille-et-une bouteilles, et autant de tentations…