Muriel (Sandrine Kiberlain) a une tendance à l’affabulation. A partir d’un élément anodin, elle est capable de broder toute une histoire, dans laquelle elle se montre toujours courageuse, pleine d’esprit et de répartie. C’est le meilleur moyen qu’elle a trouvé pour attirer l’attention des autres sur elle, et pour pimenter un peu une vie terne, désespérément ordinaire. Muriel s’ennuie dans son travail, à épiler jambes et maillots, et elle s’ennuie dans sa vie tout court, trop seule depuis son divorce. Son autre rayon de soleil, c’est le chanteur Vincent Lacroix (Laurent Lafitte), dont elle est fan depuis l’adolescence. Elle ne manque aucun de ses concerts, collectionne les coupures de presse le concernant, lui écrit régulièrement.
Un soir, elle a la surprise voir son idole sonner à sa porte, implorant son aide pour une mission des plus délicates. Muriel se retrouve alors entraînée dans une histoire qui dépasse de loin tous les récits farfelus qu’elle a inventés.
En fait, lors d’une querelle conjugale, Vincent Lacroix a tué accidentellement son épouse – une peste hystérique – et, paniqué à l’idée du scandale et d’une peine de prison pour homicide involontaire, il a pris la décision d’escamoter le corps. Mais pour ne pas attirer les soupçons sur lui, il a besoin d’une tierce personne pour emmener le cadavre le plus loin possible de son domicile. Il a donc décidé de faire appel à sa plus grande fan, sachant qu’elle est suffisamment en adoration devant lui pour l’aider aveuglément. Il lui confie le paquet, sans lui préciser ce qu’il contient, et lui donne des instructions précises quant à l’adresse de livraison. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…
Si Lacroix est évidemment le principal suspect de la disparition de sa femme, les policiers chargés de l’enquête (Pascal Demolon et Olivia Côte) s’intéressent vite à Muriel, la fan envahissante, qui aurait pu tuer l’épouse de son chanteur préféré par pure jalousie. L’esthéticienne se retrouve en garde à vue, cuisinée par les flics qui veulent lui faire avouer son crime. Mais il n’est pas si simple de faire passer aux aveux une innocente. Surtout quand celle-ci a le don d’inventer des histoires et de broder autour…
Sur ce canevas, Jeanne Herry brode un joli scénario, oscillant sans cesse, pour la forme, entre polar et comédie étincelante et proposant, pour le fond, une réflexion sur la notoriété et l’idolâtrie, la mythomanie et les apparences et une variation subtile sur les relations humaines.
Les avantages et inconvénients de la célébrité, et les assauts de fans hystériques, la cinéaste connaît tout cela très bien, puisque ses parents, l’actrice Miou-Miou et le chanteur Julien Clerc, sont tous deux des stars. Elle est donc bien placée pour savoir que, derrière les icônes, il y a des êtres humains ordinaires, confrontés aux mêmes problèmes que le commun des mortels.
A y regarder de plus près, Muriel et Vincent ne sont pas si différents l’un de l’autre. Elle sort d’une relation que l’on devine difficile et d’un divorce douloureux. Il aurait sûrement connu les mêmes difficultés si sa compagne avait survécu à leur violente dispute conjugale. Tous deux sont de grands gamins un peu paumés, confrontés à une situation des plus embarrassantes.
Ce qui les oppose, c’est que Vincent est adulé par des milliers de fans. Il reçoit quotidiennement leurs marques d’affection, leur lettres, leurs cadeaux. Il ne prête pas vraiment attention à ses fans, mais il a besoin de leur soutien. Leur amour flatte son égo. Ce besoin de plaire à tout prix et d’être au centre de toutes les attentions est d’ailleurs ce qui irritait sa compagne.
Muriel aussi aimerait un peu d’attention. Pas pour devenir une star, non. Juste pour avoir l’impression d’exister, d’être autre chose qu’une anonyme engluée dans une vie terne. En attendant, elle remplit le vide en focalisant son affection sur le chanteur.
A première vue, il est mieux loti qu’elle et il ne se prive pas d’utiliser sa notoriété, et la relation particulière qui l’unit à son admiratrice. Il profite de manière honteuse de Muriel, trop bonne poire, en l’impliquant dans son plan illicite. Mais, au fil des minutes, le rapport de force s’inverse. C’est elle qui se retrouve dans la lumière. Celle des policiers qui l’interrogent, certes, mais au moins, elle devient le centre des débats, tandis que Vincent reste dans la marge attendant fébrilement de savoir ce qu’elle a pu avouer. En se retrouvant malgré elle héroïne d’un polar, Muriel devient la personne extraordinaire qu’elle rêvait d’être. Ses affabulations, généralement accueillies avec embarras et mines navrées par ses amis, deviennent ici une qualité redoutable.
Du coup, elle n’a plus vraiment besoin d’aimer ce chanteur pour midinettes pour remplir le vide de son existence. Désormais, elle sait qu’elle existe, qu’elle est une personne à part entière et qu’elle doit se recentrer sur sa propre personne. Elle a d’autant moins de scrupules à oublier Vincent qu’elle réalise que le type l’a manipulée et a essayé de la piéger.
A la fin, les positions sont totalement inversées. C’est lui qui lui court après. Elle rayonne. Il n’est plus qu’un pauvre type, seul et déprimé, conscient d’avoir perdu le respect de sa plus grande admiratrice. Il comprend que si les fans ont besoin de proximité avec leur idole, les vedettes ont encore plus besoin de leurs admirateurs.
Au delà de ces notions de célébrité et d’idolâtrie, le film de Jeanne Herry s’intéresse à la complexité des rapports humains. Tous les personnages du film recherchent, à leur manière, un peu d’affection, mais ils se heurtent aux barrières qu’ils se sont eux-mêmes fixées.
Muriel, par exemple, a besoin de tendresse et de reconnaissance, mais elle tient sa mère à distance, alors que cette dernière l’aime profondément et est chagrinée de ne pas la voir plus souvent. Vincent a besoin de l’affection de ses fans et de l’amour de sa femme, mais il est tellement égocentrique qu’il ne donne rien en échange. Mais la relation la plus tortueuse est celle du duo de policiers, partenaires au commissariat et amants dans l’intimité. Ils donnent tout son sens à l’expression “passion amoureuse” : Ils s’aiment profondément, mais se font souffrir l’un l’autre. Il est jaloux et possessif, elle est excessivement volage. Leur relation est vouée à l’échec, même si leurs sentiments sont forts.
Malgré la cocasserie des situations et des répliques parfois hilarantes, Elle l’adore n’est pas une vraie comédie. Le film de Jeanne Herry est empreint de la noirceur de son intrigue criminelle, mais aussi d’une certaine amertume, liée à ces histoires d’amour brisées et à la profonde solitude qui, finalement, caractérise les différents protagonistes.
La réussite de ce premier long-métrage tient beaucoup à cet alliage subtil, qui confère à l’oeuvre une ambiance singulière.
L’autre atout majeur est évidemment la troupe d’acteurs que la cinéaste a su réunir autour du projet. Avec des rôles aussi intéressants à jouer, ils s’en donnent tous à coeur-joie. On est heureux de voir l’excellent Pascal Demolon dans un second rôle plus étoffé que ce qu’on lui donne habituellement à défendre, et de découvrir le talent comique d’Olivia Côte. Laurent Lafitte peut montrer l’étendue de son talent en incarnant ce type ambigu, à la fois touchant quand il se retrouve confronté à la mort accidentelle de son épouse, et détestable, quand, par instinct de protection, il décide d’impliquer son admiratrice n°1. Et puis, il y a Sandrine Kiberlain, impériale dans ce rôle qui semble taillé sur mesure pour elle. Elle confirme son talent pour la comédie, apportant sa fantaisie à cet attachant personnage, sans omettre de lui conférer toute la densité psychologique nécessaire.
Porté par ses comédiens, par son scénario joliment ciselé et par l’énergie de Jeanne Herry, Elle l’adore constitue l’une des belles surprises de la rentrée ciné 2014. A défaut de l’adorer, on l’aime beaucoup…
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Réalisatrice : Jeanne Herry
Avec : Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Pascal Demolon, Olivia Côte, Michèle Moretti, Sébastien Knafo
Origine : France
Genre : polar+comédie+étude psychologique
Durée : 1h45
date de sortie France : 24/09/2014
Note : ●●●●●○
Contrepoint critique : A voir à lire
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