En 1900, Qin Fu (Liu Haoran), un jeune chinois, doit accueillir à San Francisco trois émissaires de l’impératrice chinoise, chargés d’appréhender deux rebelles complotant contre le régime. Mais, dans le train qui l’emmène en Californie, il a l’occasion de faire admirer ses talents de déduction à un fameux détective britannique, invité à résoudre une épineuse affaire qui met la ville en ébullition. Celui-ci n’étant guère inspiré par l’affaire, trop politique à son goût, il demande à Qin Fu de se faire passer pour lui et de travailler sur l’affaire.
Qin Fu accepte et est accueilli par le principal caïd de Chinatown, Louis Bai (Chow Yun-Fat), dont le fils, Zhenbang (Zhang Xincheng), est accusé d’être le tristement célèbre Jack l’éventreur. Après avoir semé la terreur à Londres, le criminel semble en effet avoir repris ses activités en Amérique. Deux cadavres ont été découverts dans une ruelle, à quelques mètres l’un de l’autre. Le premier est celui d’un chef de tribu indienne, venu en ville vendre des peaux de bêtes. Le second est celui d’Alice, la fille du député Grant (John Cusack). Celui-ci est déterminé, en représailles, à faire voter l’expulsion des habitants de la communauté chinoise, et il contribue à faire monter la haine raciale en jouant sur le côté sensationnel du crime commis. Qin Fu a pour mission de prouver l’innocence de Zhenbang et trouver le véritable assassin, qui court toujours. Il ne tarde pas à être secondé par Ah Gui (Wang Baoqiang), le fils adoptif du chef de tribu, décidé à venger son père. Les deux hommes sont très différents, mais complémentaires. L’un est expert en médecine chinoise et s’appuie sur la déduction logique. L’autre mise sur son instinct, ses compétences de chasseur/traqueur et ses performances en kung-fu. Ils auront besoin de toutes ces qualités pour démêler les fils de cette affaire tortueuse, compliquée par le climat politique délétère, la traque des rebelles chinois dans la ville, les tensions entre la communauté chinoise et la communauté irlandaise, la poussé de xénophobie anti-chinois, et la disparition mystérieuse de témoins-clés.
Le duo Wang Baoqiang-Liu Haoran est désormais rodé, puisque Detective Chinatown 1900 est leur quatrième collaboration. La saga a été initiée en 2015 et ses trois premiers épisodes, plus contemporains, jouaient déjà sur l’opposition de styles et de caractères, dans la pure tradition du “buddy cop movie”. En changeant d’époque, cela permet d’ajouter quelques options amusantes, notamment pour Wang Baoqiang, assez irrésistible en guerrier indien, capable de parler aux animaux ou de se s’administrer des remèdes chamaniques aux propriétés intéressantes. Les deux acteurs chinois tiennent bien la vedette de ce nouveau film, mais doivent cette fois partager la vedette avec une figure du cinéma hongkongais, Chow Yun-fat.
A presque soixante-dix ans, l’acteur iconique n’effectue plus de fusillades en glissant sur le dos, un flingue dans chaque main et un cure-dent aux lèvres, et il ne se livre plus à des combats d’arts martiaux en volant au-dessus des toits ou sur la cime des arbres, mais il se livre à une sublime joute oratoire face à une assemblée wasp hostile, bien décidée à bouter les asiatiques hors de la ville. Seul contre tous, Bai rappelle à ces notables tout ce qu’ils doivent à la communauté chinoise, qui travaille dans les blanchisseries, les commerces alimentaires, les usines, et, avant cela, a trimé dans les mines ou sur la construction du chemin de fer. Il rend coup pour coup, renvoyant ses opposants à leur racisme ordinaire et leurs préjugés imbéciles. Du grand art, qui n’est pas sans rappeler le discours-fleuve de Jefferson Smith/James Stewart dans Monsieur Smith au sénat, de Franck Capra. Sa diatribe est bonne à entendre, surtout à l’heure où un certain Donald Trump multiplie les discours xénophobes et les menaces d’expulsion vis à vis des migrants. Aujourd’hui, ce sont plus les mexicains et les migrants d’Amérique du sud qui sont visés, après avoir servi de main d’oeuvre bon marché pour les entreprises américaines, des deux côtés de la frontière. Mais il y a certaines similitudes entre leur sort et celui des autres minorités ethniques qui ont été exploitées économiquement tout au long des siècles derniers et ont vus leurs droits bafoués par les classes dominantes.
Les cinéastes pointent ici les conséquences de l’Exclusion Act mis en place en 1882 pour interdire l’arrivée de nouveaux migrants chinois sur le sol américain et limiter les droits des migrants. Cette décision politique, motivée par la xénophobie de certains politiciens et d’autres communautés – la communauté irlandaise, notamment – qui voyaient d’un mauvais oeil la concurrence de ces travailleurs bon marché, n’a fait qu’exacerber les tensions communautaires et la haine raciale et a sans doute contribué à la révolution chinoise de 1911, provoquant la chute de l’empire et l’instauration d’un nouveau régime, qui est aujourd’hui considéré par les Etats-Unis comme un ennemi sur le plan économique.
Evidemment, le film étant une pure production chinoise, il ne peut s’empêcher, in fine, de vanter le système politique local – un communisme ayant intégré de nombreux éléments de marché libre et de libéralisme économique-, par opposition à la politique américaine. Pour autant, on n’est pas dans un pur film de propagande. Les auteurs veulent plutôt mettre en avant des problématiques humaines. Dans le film, les exilés chinois cherchent à s’intégrer au reste de la population, devenir des citoyens comme les autres. Ils ont quitté leur terre natale pour vivre dans une société plus libre et plus égalitaire. Mais le rejet dont ils sont victimes les poussent vers le repli communautaire et la constitution de ces fameux quartiers Chinatown, sortes de villes dans la ville. L’attitude des notables, bien contents de pouvoir bénéficier d’une main d’oeuvre à bas coût, mais peu enclins à laisser des “étrangers” prospérer et se développer, est évidemment une source de colère chez les expatriés.
A la fin du récit, deux personnages commentent la révolution en cours dans leur patrie et se demandent qui, aux Etats-Unis, pourra être capable de mener une révolution similaire, afin d’instaurer plus d’égalité dans un pays où l’appât du gain prime sur les préoccupations sociales.
Detective Chinatown 1900 possède assurément une dimension politique plus forte que les autres films de la saga, ce qui lui permet de dépasser le statut de “simple” divertissement. Pour autant, que les amateurs de comédie policière se rassurent, cet aspect n’est pas du tout sacrifié. Au contraire, ce blockbuster, doté d’un budget conséquent et d’une durée-fleuve (2h15, que l’on ne sent pas passer), accumule les péripéties en passant d’un genre à l’autre, entremêlant policier, thriller, action et même western. Sans oublier, évidemment, de beaux moments de comédie burlesque. La scène de bagarre entre les détectives et les émissaires de l’impératrice dans les coulisses d’un théâtre, alors que sur scène, un magicien est en pleine représentation, est un joli moment comique, que n’auraient pas renié les Marx Brothers. La course-poursuite qui s’ensuit, opposant les héros à différentes factions opposées, est également très spectaculaire, d’autant qu’elle se déroule dans un San Francisco d’époque entièrement reconstitué en images de synthèse. Même si quelques imperfections trahissent le côté numérique des décors, la reconstitution est tout de même assez admirable et a sans doute nécessité un travail impressionnant.
La mise en scène est correcte, même si d’un point de vue artistique, on est loin du talent d’un Jia Zhangke ou d’un Bi Gan.
En Chine, ce nouvel opus de la saga part sur les mêmes bases, élevées, que les précédents au box-office. En France, c’est le premier des films de la saga à sortir en salle, et pour une durée ultra-courte : deux jours seulement, à l’occasion du nouvel an chinois. On peut se demander pourquoi. Il y a clairement les ingrédients d’un blockbuster populaire aussi qualitatif que les gros films hollywoodiens ou les divertissements made in Hongkong, et donc les moyens de séduire un public plus large que la communauté chinoise en France…
Detective Chinatown 1900
唐探1900
Réalisateurs : Chen Sicheng, Dai Mo
Avec : Liu Haoran, Wang Baoqiang, Chow Yun-fat, John Cusack, Bai Ke, Zhang Xincheng, Tony Jaa
Genre : Comédie + Policier + Action + Historique + Politique
Origine : Chine
Durée : 2h15
Date de sortie France : 08/02/2025
Contrepoints critiques :
“There are wrinkles here and there, and debateable moments, but all in all Detective Chinatown 1900 is populist, breezy entertainment that is perfectly pitched for the New Year season.”
(Grant Watson – FictionMachine.)
Crédits photos : Copyright As One Pictures