La compétition est terminée, la cérémonie de clôture a eu lieu hier, les principaux invités sont déjà partis, mais le festival n’est pas fini pour autant. En ce dimanche, les festivaliers avaient l’occasion de voir ou revoir les films en compétition, mais aussi de découvrir trois oeuvres hors compétition.
Déjà, Buddha, The Great departure, un film d’animation japonais de Kozo Morishita qui, comme son titre l’indique, s’intéresse à une période bien précise de la vie de Siddhartha Gautama, celle où le jeune prince décide de quitter son palais pour se confronter à la réalité du monde extérieur, la pauvreté et la dureté des conditions de vie. Un voyage qui le conduira à changer de vie et à prendre l’identité de Bouddha.
Puis, The Thieves de Choi Dong-hoon, une variation autour d’Ocean’s eleven et des films de braquage.
On avoue, on ne les a pas vu, pour cause d’agenda trop chargé.
En revanche, on n’aurait raté pour rien au monde la projection du film de Kiyoshi Kurosawa, Shokuzai. Ou plutôt des films, au pluriel, puisque cette oeuvre est déclinée en deux parties : Celles qui voulaient se souvenir et Celles qui voulaient oublier.
Se souvenir de quoi? Oublier quoi? Hé bien déjà la mort tragique d’une camarade de classe, violée et assassinée, puis le visage de l’assassin, et enfin la promesse faite à la mère de la victime de tout faire pour retrouver le criminel, ou, à défaut, de lui donner une compensation suffisante…
Tout commence avec l’arrivée d’une nouvelle élève dans l’école primaire d’un paisible village japonais. Emili est la fille d’un riche industriel local. Enjouée et gentille, elle ne tarde pas à se faire des amies. Notamment ses quatre camarades de classe Sae, Maki, Akiko et Yuka. Un jour, alors que les fillettes jouent au ballon dans la cour de l’école, déserte, elles sont abordées par un homme qui leur requiert l’aide de l’une d’entre elles. Il choisit Emili et l’entraîne dans le gymnase de l’école. Au bout d’un certain temps, les quatre autres filles s’inquiètent de ne pas la voir revenir et préviennent les secours. Trop tard…
Emili est déjà morte. Elle a été violée et assassinée.
Les jours suivants, la police interroge les quatre fillettes, afin de trouver la trace du criminel. Mais celles-ci affirment ne plus se souvenir du visage du tueur.
Furieuse, Asako, la mère d’Emili, les convoque et leur jette une sorte de malédiction. Si elles ne parviennent pas à retrouver le criminel ou de donner des informations permettant de l’appréhender, elles devront faire pénitence toute leur vie, et lui apporter “une compensation suffisante”.
Quinze années passent. Le meurtrier n’a jamais été retrouvé. La police a arrêté de le chercher. Désormais adultes, les quatre camarades de classe d’Emili se sont perdues de vue et évoluent dans des endroits différents, des milieux différents. Asako, elle, ne s’est jamais remise de la mort tragique de sa petite fille. Elle décide de se rappeler au bon souvenir des quatre jeunes femmes, l’une après l’autre.
Chaque retrouvaille fait l’objet d’un chapitre distinct.
Les deux premiers tournent autour des destins de Sae et Maki, qui n’ont pas oublié le sort funeste de leur camarade, ni la promesse faite à Asako. Ils correspondent au segment Celles qui voulaient se souvenir.
Traumatisée par le drame, Sae fuit les hommes et les choses de l’amour, essayant de préserver ce qui reste de son innocence enfantine. Un jour, elle reçoit la demande de mariage d’un homme qui dit la connaître depuis l’école primaire. D’abord réticente, elle accepte de le rencontrer et se laisse finalement séduire par ses bonnes manières, son charme et la pureté de son amour. Mais les apparences peuvent être trompeuses…
Maki, elle, est devenue institutrice. Une institutrice sévère peu appréciée des parents d’élèves et de la direction de l’école, jusqu’au jour où elle empêche un terrible drame et sauve les enfants de sa classe. Prof tyrannique ou héroïque? Les évènements l’incitent à prendre du recul et à s’interroger sur les raisons qui l’ont poussée à devenir institutrice, sur celles qui l’ont poussée à sauver les enfants. Tout la ramène à sa camarade de classe défunte…
Les deux chapitres suivants tournent autour d’Akiko et Yuka. Elles n’ont pas oublié le drame survenu quinze ans plus tôt, mais estiment ne rien devoir à la mère d’Emili. Ils correspondent au segment Celles qui voulaient oublier.
Suite au drame, Akiko s’est repliée sur elle-même. Elle s’est transformée en une sorte d’ours, quittant rarement sa tanière. Et quand elle en est sortie, les choses ont mal tourné. C’est en prison qu’elle reçoit Asako. Elle lui raconte sa vie depuis la mort d’Emili…
De son côté, Yuka est devenue fleuriste et vit une vie tranquille. Ne manque à son bonheur qu’un homme capable de l’aimer. Elle envie sa soeur, mariée à un séduisant fonctionnaire. Quand elle apprend que son beau-frère est policier, elle craque complètement et essaie de le séduire. Elle parvient à se fins et tombe enceinte…
Le seul élément qui relie ces quatre histoires distinctes est le traumatisme causé par le décès de leur camarade, quinze ans auparavant. Plus que la malédiction lancée par Asako, c’est cet évènement tragique qui a bouleversé leurs vies, qui les a changées à tout jamais.
Sae a peur des hommes et essaie de se préserver de l’âge adulte, Maki, au contraire, tente de faire grandir plus vite les enfants, pour éviter que leur innocence n’attire un prédateur comme celui qui a tué Emili. Akiko refuse sa part féminine, Yuka, elle la met en avant, et cherche à devenir mère, mais elle nourrit une obsession maladive vis-à-vis des policiers, sans doute parce que c’est elle qui était allée prévenir les autorités à l’époque du crime…
D’une façon ou d’une autre, la mort de leur camarade a provoqué des troubles psychologiques, qui vont peser sur leurs existences et décider de leurs destinées.
Mais ce fil conducteur n’est qu’un prétexte permettant à Kiyoshi Kurosawa de livrer de beaux portraits de femmes, personnages qui essaient de reprendre le contrôle de leur existence et se débarrasser du fardeau que constitue leur passé.
Tout naturellement, il y greffe ses sujets de prédilection, qui touchent à plusieurs aspects de la société japonaise : la cellule familiale, le couple, l’éducation des enfants, l’opposition entre les villes de province faussement paisibles et les métropoles glaciales, la perversion des hommes et la soumission des femmes… Autant de sujets qui traitent des relations humaines, dans toute leur complexité.
Cette complexité est encore plus prégnante dans le cinquième et dernier chapitre, centré autour d’Asako, qui donne une résolution surprenante à l’intrigue criminelle amorcée quinze ans plus tôt.
Asako finit par retrouver le meurtrier de sa fille et peut assouvir sa soif de vengeance, mais elle se laisse rattraper par son propre passé, ses propres zones d’ombres. On la découvre sous un autre jour, moins droite et vertueuse qu’elle ne semblait, mais aussi moins froide. De même, ce meurtrier que l’on pensait sadique et impitoyable se révèle plus humain, un peu plus nuancé.
Plus que la résolution de l’intrigue en elle-même, que d’aucuns jugeront un peu tirée par les cheveux, c’est vraiment dans cette relation entre Asako et le meurtrier de sa fille que réside la clé du récit. Une histoire d’amour et de haine, de frustration, de vengeance et de mort, où personne n’est vraiment maître de son destin.
Shokuzai est une oeuvre forte, qui brasse aussi habilement les genres – thriller, chronique intimiste, fable fantastique, comédie noire – que les thématiques.
C’est joliment écrit, parfaitement réalisé et interprété. Le seul petit bémol que l’on peut apporter concerne le décalage entre les attentes nées de la première partie (Celles qui voulaient se souvenir), qui se finit par un cliffhanger haletant, et le cheminement de la seconde, un peu moins flamboyant que prévu. Mais cela n’atténue en rien la puissance globale qui se dégage de ce diptyque, qui marque le grand retour de Kiyoshi Kurosawa sur nos écrans, cinq ans après le remarquable Tokyo Sonata.
Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa ●●●●●○
C’est sur cette note très positive que se boucle le 15ème Festival du Film Asiatique de Deauville. Un festival qui aura tenu ses promesses, avec une programmation de qualité et un public présent au rendez-vous.
Certains pesteront sans doute contre la qualité des films présents en compétition. Effectivement, ils étaient un cran en dessous de ce qui a été présenté hors-compétition. Mais c’est surtout que cette section regorgeait de très bons films, réalisés par des cinéastes confirmés. Et il ne faut pas oublier que la plupart des films en compétition sont souvent des premiers ou seconds films, et qu’ils viennent de pays où le financement des oeuvres cinématographiques reste compliqué. Et puis, n’exagérons rien, les films étaient quand même d’un niveau honorable. Après, on est sensible ou non au fond ou à la forme… Mais ça, c’est une autre histoire…
Voilà. C’est tout pour cette année.
Il ne nous reste plus qu’à remercier tout le monde. Les organisateurs, pour la qualité de la programmation. Le service presse, pour son accueil chaleureux. Et surtout, vous dire merci à vous, lecteurs, qui avez suivi nos chroniques quotidiennes.