On ne voit pas le temps passer à Deauville Asia… Ce quatrième jour de festival marquait la fin de la compétition officielle et l’annonce du palmarès des différents jurys : le Jury officiel présidé par Jérôme Clément, bien sûr, mais aussi le Jury de la Critique Internationale et enfin… le public, qui avait pour la première fois l’occasion d’élire son chouchou parmi les films présentés. Comme cela, fini les palmarès frustrants où le film préféré des festivaliers est le grand oublié du palmarès…
Mais avant de connaître les résultats des délibérations, il restait à voir les deux derniers films en lice pour l’obtention du très convoité Lotus du Meilleur film.
Fidèles au poste, nous avons donc ces deux oeuvres. Verdict…
The Town of whales de Keiko Tsuruoka ●●●●○○
”Tu sais pourquoi les baleines vivent en mer plutôt que sur terre? Parce que sur terre, elles seraient écrasées par la pesanteur…”.
Cette réplique est la dernière que la jeune Machi a entendue de la bouche de son frère aîné, juste avant qu’il quitte le domicile familial et parte vivre sa vie ailleurs, probablement à Tokyo. Depuis, elle n’a plus reçu aucune nouvelle, et se demande sans cesse ce qu’il est devenu, jusqu’au jour où elle reçoit un colis d’une femme qui se présente comme une amie de son frère. Machi décide alors de partir à la rencontre de cette femme, emmenant avec elle ses meilleurs amis, Tomohiko et Hotaru…
Ces quelques mots, prononcés vers le milieu du récit, sont aussi importants car ils résument bien la tonalité douce-amère du film de la jeune japonaise Keiko Tsuruoka. Ils permettent d’en expliciter le titre (“La ville des baleines”) et le propos.
Il s’agit d’un film sur le poids de la vie, celui qui pousse les êtres, parfois, à se délester de leur passé pour pouvoir retrouver un peu de liberté. Mais il s’agit aussi d’un film sur les lois de l’attraction, non pas terrestre, mais sentimentale.
Hotaru aime Tomohiko. Tomohiko n’a d’yeux que pour Machi, qui n’éprouve pour lui que de l’amitié. Une équation à trois inconnues, impossible à résoudre, qui va se poser aux trois personnages au cours de leur virée à Tokyo…
Ce schéma amoureux classique, un brin cruel, sert de fil conducteur à ce premier long-métrage de Keiko Tsuruoka, tout en finesse et en mélancolie. Certains pourront trouver cela un peu trop classique sur la forme, et pas assez développé sur le fond. Certes… Mais il convient de rappeler qu’il s’agit ici d’un film de fin d’études, un moyen-métrage qui pèche autant par manque de moyens que par quelques hésitations de débutant. Il faut bien que jeunesse se passe, non? Et, pour un premier film, la jeune cinéaste fait preuve d’une certaine sensibilité, d’une certaine douceur qui n’est pas sans rappeler le beau film de Céline Sciamma, La Naissance des pieuvres. Tiens, une autre référence à des animaux marins… Souhaitons en tout cas à Keiko Tsuruhoka des débuts aussi réussis que ceux de la jeune cinéaste française, remarquée à Cannes avec son premier long-métrage professionnel…
Taboor de Vahid Vakilifar ●●●●○○
Vahid Vakilifar, lui, n’en n’est pas à son coup d’essai. Taboor est son second long-métrage et dénote déjà d’un style très personnel, influencé par le cinéma d’Abbas Kiarostami ou de Bela Tarr. Un cinéma radical, donc, qui ne plaira pas à tout le monde, loin de là…
Taboor est composé essentiellement de plans fixes, tous d’une durée inhabituellement longue, et présente la particularité de ne comporter que quatre ou cinq malheureuses lignes de dialogue.
Dans un futur proche (?), on suit la journée ordinaire d’un homme ordinaire. Le type se lève dans son “appartement”, un camping-car dont les murs, le sol et le plafond sont tapissés avec du papier d’aluminium. Il enfile une combinaison de travail, en aluminium également, puis ses vêtements ordinaires et sort de la pièce. Cela prend bien cinq minutes, car le bonhomme prend son temps. On le comprend : Par la suite, on le voit emprunter une route déserte, ou presque, pour se rendre dans un immeuble désert, rester bloqué dans un ascenseur désert pour finalement, au bout de longues minutes, arriver à son lieu de travail, une pièce industrielle déserte.
On comprend que le type est une sorte d’agent de nettoyage et de désinsectisation. Là encore, il prend son temps pour effectuer ses tâches…
Pendant sa pause, il se rend à l’hôpital pour passer un scanner. On comprend que s’il vit entouré d’aluminium, ce n’est pas par plaisir. Son organisme est sensible aux ondes, qui le tuent à petit feu.
C’est ce qui nous vaut la première ligne de dialogue en trente minutes : Pour expliquer à l’homme ce qui est en train de se produire à l’intérieur de son corps, de son sang, le médecin met un steak à cuire sur une plaque chauffante. Il attend, attend, attend, attend encore… Une scène interminable montrant un steak en train de griller, en plan fixe, pendant cinq bonnes minutes.
Ceci n’a pas manqué de provoquer quelques sarcasmes dans la salle du CID. “Ca va être trop cuit!” a ironisé un spectateur, qui a eu le mérite de tenir presque jusqu’à la fin du plan. D’autres n’ont pas eu cette patience, quittant la salle à mi-cuisson. Peut-être parce que le film leur a donné faim, mais plus sûrement parce qu’ils n’ont pas supporté la lenteur extrême de ce film, étiré jusqu’au malaise, et jusqu’au bout de l’ennui…
La suite du récit n’est guère plus palpitante, et tout aussi étrange. On suit l’homme jusqu’à un appartement, où il doit exterminer des cafards. Puis dans une cave sordide où il sert de cible d’exercice pour un nain armé d’une carabine à plomb (oui, on l’a dit, hein, c’est bizarre…), ou encore dans une attraction foraine, une sorte de train fantôme numérique, avant qu’il ne regagne son domicile, non sans avoir pris son temps pour effectuer chaque tâche, chaque déplacement.
On a le droit de trouver cela parfaitement insupportable. Le cinéaste lui-même a conscience que son film suscite le rejet, qu’il met à rude épreuve la patience des spectateurs.
Comme beaucoup, nous avons été gênés par cette lenteur exacerbée, ces plans inutilement étirés, comme nous pouvons l’être par le cinéma de Bela Tarr ou les oeuvres les plus radicales de Kiarostami. Ce n’est pas la lenteur qui nous gêne. On aime, par exemple, les films d’Antonioni, certaines des oeuvres les plus austères de Bergman, ou les films de Nuri Bilge Ceylan – quand on est en forme, c’est vrai. Mais cette façon d’étirer ad nauseam la longueur des plans n’est vraiment pas notre truc…
Cela dit, il faut aussi savoir reconnaître les qualités d’une oeuvre au-delà de sa perception première, au-delà de son rythme. Taboor est certes assez repoussant de par sa lenteur hors normes, mais il est aussi un fascinant objet de cinéma, qui, parmi les autres films présentés en compétition, sort nettement du lot d’un point de vue technique.
Le cinéaste a réussi à donner à chaque plan un aspect futuriste, pour un rendu visuel des plus étonnants, digne d’un film de science-fiction ou d’anticipation. On ne sait plus trop où se situer temporellement. Est-ce un film contemporain? Un film d’anticipation pré ou post-apocalyptique? Est-on seulement encore sur Terre?
Tout est fait pour dérouter le spectateur, le mettre mal à l’aise, l’inquiéter…
Le rythme crée le malaise, mais le contenu participe aussi à ce sentiment d’inconfort. Le côté désertique des lieux inquiète. Les scènes se déroulent toutes dans des endroits étouffants, sombres et sordides Les plans sont filmés depuis des angles insolites, générant un certain trouble. L’absence de dialogues et de musique est pesante. Et surtout, il règne autour du personnage principal une atmosphère oppressante et mortifère.
Le cinéaste affirme avoir eu l’idée de ce film après lecture d’un article sur les méfaits des ondes électromagnétique sur les organismes. On peut y voir un message écologique, une vision pessimiste du futur. Mais, puisqu’il est iranien, difficile de ne pas prendre le film comme un pamphlet sur la difficulté de vivre dans ce pays, aujourd’hui. Un pays placé sous silence et des habitants qui meurent à petit feu… De l’anticipation? Pas si sûr…
Même si, on le répète, ce film est assez difficile à regarder jusqu’au bout sans sombrer dans la dépression ou dans une profonde léthargie, il s’agit néanmoins d’une oeuvre forte, qui propose de vrais moments de cinéma. Et n’en déplaise aux râleurs, il a sa place dans un festival de cinéma…
Bon, mais a-t-il eu un prix? Et sinon, qui les jurys ont-ils décidé de primer?
Premier prix remis, celui du public. Au vu du bouche-à-oreille en sortie de séance, on aurait bien mis une piécette sur Songlap. Mais c’est finalement Apparition, le film du philippin Vincent Sandoval, qui s’est vu récompenser des mains du maire de la ville. Le jeune cinéaste s’est dit ravi de ce prix, qui va contribuer à améliorer la distribution de son film dans son pays d’origine.
Second prix, celui de la critique internationale. Passée l’annonce-publicitaire live du représentant du sponsor, Air France, l’annonce du résultat a provoqué quelques sifflets. C’est en effet Taboor qui a remporté la statuette du meilleur film documentaire sur la cuisson d’un steak. Ah pardon, on me dit dans mon oreillette que c’est bien le prix du meilleur film tout court que le jury de critiques a choisi de récompenser.
Grâce à une méticuleuse enquête de terrain, on sait de source sûre que le prix a été disputé entre le film iranien, The Weight et The Last supper. C’est le plus radical qui a été choisi et à vrai dire, c’est tant mieux. Si la critique ne défend pas ce genre de film, qui va le faire?
A vrai dire, le cinéaste semblait très étonné d’avoir le prix. Il s’est peut-être demandé s’il n’aurait pas dû prolonger encore un peu la cuisson pour ne pas repartir avec les valises encombrées d’in trophée…
Place maintenant au Prix du Jury, la “seconde place” sur le podium du festival.
Apparemment, le jury a eu du mal à trancher puisqu’il y a cette année deux ex-aequo, un film social en milieu urbain, Mai Ratima, et un film social en milieu rural, Four Stations. Comme ça, pas de jaloux!
Le réalisateur thaïlandais était déjà reparti, mais son homologue coréen est venu sur scène récupérer son prix, pour le plus grand bonheur de ses fans.
Enfin, le Grand Prix du Jury, le Lotus du meilleur film, a été remis, à l’unanimité, à I.D. de l’indien Kamal K.M. Le jury semble avoir été conquis par cette virée dans les bidonvilles de Bombay et son parti-pris de mise en scène, assumé de bout en bout. De notre côté, on est un peu moins convaincus. On aurait bien aimé voir The Weight figurer au palmarès. Mais bon, c’est la dure loi de ce genre de festival. Impossible de primer tous les films…
On est quand même contents pour le cinéaste indien, très sympathique et attachant. Après avoir estimé avec humilité que son film n’était pas le meilleur, et que de toute façon les films ne devraient pas être mis en compétition les uns avec les autres, il a tenu à partager l’honneur qui lui a été fait avec tous les gens de la rue, à Bombay, tous ces anonymes qu’il a voulu mettre en lumière avec son film.
Voilà pour le Palmarès et pour la cérémonie de clôt… Hé, ne partez pas! Le Festival n’est pas encore fini. D’accord, la compétition est terminée, mais il reste encore quelques films sympathiques au programme, plus la Masterclass consacrée à Sono Sion.
On y était, évidemment. On n’aurait raté pour rien au monde cette rencontre avec le génial cinéaste japonais, qui nous a vraiment enthousiasmé avec son Land of hope.
Animée par Stéphane Du Mesnildot , des “Cahiers du Cinéma”, cette leçon de cinéma est revenue sur les débuts de Sono Sion derrière (et devant) la caméra, son expérience dans le mouvement artistico-révolté des Tokyo Ga ga ga, puis sur ses oeuvres les plus marquantes, de Love exposure à Himizu, en passant par Guilty of romance.
Le cinéaste a pu expliquer sa démarche, celle d’un poète plutôt que d’un réalisateur pur et dur, et expliciter son rapport au sexe, à la violence, à la famille japonaise, au poids des traditions dans son pays, à la société en générale…
Une rencontre des plus intéressantes, qui donne envie de redécouvrir le oeuvres du cinéaste.
Trois autres grands noms du cinéma asiatiques étaient également présents à Deauville, pas physiquement, mais sur le grand écran du CID : Brillante Mendoza, Chen Kaige et Kim Ki-duk. En effet, le festival a choisi de présenter leurs derniers films, hors compétition.
Caught in the web de Chen Kaige ●●●●○○
En France, on connaît surtout Chen Kaige pour ses films historiques (Adieu ma concubine, Wu-ji, L’Empereur et l’assassin). Voilà qu’il revient avec un film au contraire bien ancré dans la société chinoise contemporaine, à l’heure d’internet, des smartphones et des réseaux sociaux.
Son personnage principal, Ye Lanqiu, une brillante et charmante assistante de direction, apprend qu’elle est atteinte d’un lymphome à un stade avancé. Encore sous le choc de cette annonce brutale, elle se rend à son travail en bus. Elle sort de ses pensées pour se rendre compte qu’une passagère lui demande, de façon fort peu aimable, de céder sa place assise au vieillard qui se tient à côté d’elle. Fatiguée et contrariée par l’agressivité des passagers à son encontre, elle refuse de céder sa place et aggrave son cas en proposant au vieil homme, avec un brin de provocation, de venir s’asseoir sur ses genoux.
Une scène d’incivilité anodine, comme il y en a sûrement des dizaines par jour. Mais, manque de chance, une apprentie journaliste se trouvait dans le bus et a filmé la scène. La vidéo se retrouve diffusée dans un grand show télévisé sur le thème de l’incivilité. Les réactions fusent, très critiques vis-à-vis de l’attitude de la jeune femme du bus. Les réseaux sociaux diffusent massivement la vidéo, ce qui entraîne encore plus de réactions négatives…
La vie – ou le peu qu’il en reste – de Ye Lanqiu menace de vite tourner au cauchemar, d’autant que les journalistes, flairant le sujet porteur, refusent de diffuser tout de suite les excuses publique de la jeune femme…
Le film de Chen Kaige traite des apparences, souvent trompeuses, et du pouvoir des images dans une société 2.0 où tout va très vite, trop vite. Les informations circulent très rapidement, occasionnent des milliers de réactions, de commentaires, sans chercher à creuser plus loin que ce qui fait le “buzz”. Et rapidement, on passe à autre chose… Il en va de même pour les individus, qui ont à peine le temps de briller qu’ils sont déjà menacés par des jeunes loups ambitieux. La journaliste qui orchestre la campagne de dénigrement contre Ye Lanqiu en fera les frais…
Evidemment, Chen Kaige, qui s’est souvent penché sur la Chine Impériale, ses us et ses coutumes, semble plutôt appartenir à l’ancienne école. Il se retrouve dans le personnage de Ye Lanqiu, dont la philosophie de vie s’oppose quelque peu à celle des autres personnages. En effet, la jeune femme décide de profiter pleinement de chaque instant, de chaque seconde de sursis avant sa mort annoncée, loin de tout ce cirque médiatique.
Cette acceptation de la mort, cette sérénité communicative, empêche le film de basculer dans le mélodrame larmoyant et permet au spectateur de se concentrer sur le “message” véhiculé par le film. Chen Kaige y prône le contact direct, concret, plutôt que les amitiés virtuelles par écrans interposés et alerte sur les dangers d’internet et sur l’authenticité des informations qui y circulent. Tenez, si ça se trouve, cette critique est rédigée par un usurpateur et vous ne le savez même pas…
Bon, blague à part, ce nouveau long-métrage de Chen Kaige n’est pas le plus réussi de sa filmographie, mais c’est une oeuvre agréable à suivre et porteuse de réflexions pertinentes sur nos sociétés contemporaines…
Pietà de Kim Ki-duk ●●●●●○
On attendait avec une certaine impatience le nouveau film de Kim Ki-duk, projeté après la cérémonie de clôture. D’une part car nous apprécions le travail de ce cinéaste coréen atypique, et d’autre part car cette oeuvre-ci arrivait à Deauville auréolée du Lion d’Or de la dernière Mostra de Venise.
Nous n’avons pas été déçus, même si , de notre point de vue, Pietà reste inférieur à L’île ou Printemps, été, automne, hivers et printemps. Ce film s’inscrit bien dans la lignée des oeuvres précédentes de Kim Ki-duk, qui mélangent réalisme social, fable mystique, provocations et envolées poétiques.
Pour la partie provocation, le début du film frappe fort, avec un suicide et une scène de masturbation purement gratuite. Mais ce n’est rien à côté de ce qui se passe dans le premier tiers du récit.
On suit la tournée d’un jeune voyou, Kang-do, chargé de recouvrer des dettes pour le compte d’un usurier. Les emprunteurs ne sont jamais ravis de le voir débarquer, car sa présence signifie qu’ils doivent rembourser illico le prêt, mais aussi des intérêts vertigineux équivalent à dix fois la somme empruntée. S’ils ne peuvent payer, l’homme de main de l’usurier estropie de force les mauvais payeurs, fait passer cela pour un accident du travail et empoche les sommes rondelettes versées par les assurances… Kang-do, un brin sadique, a une nette préférence pour cette seconde option, qui lui permet d’user de la manière forte…
Les clients de l’usurier ont beau se mettre à genoux pour tenter d’obtenir un délais supplémentaire, le supplier, tenter de le corrompre en lui offrant leurs femmes, rien n’y fait. Le type reste insensible, impitoyable et exécute froidement sa mission.
Chaque étape de son parcours nous entraîne un peu plus dans le sordide. Jusqu’à ce que l’homme agresse sexuellement une femme qui prétend être sa mère. Viol + inceste. Une combinaison qui risque bien de choquer plus d’un spectateur, et de vider légèrement les rangs des salles de cinéma…
Mais il serait dommage de rester bloqué sur le côté choquant du film. Passée cette scène, Pietà évolue vers quelque chose de différent, plus spirituel, plus poétique.
Oh bien sûr, le propos reste sombre. Kang-do continue sa collecte de fonds violente. Mais quelque chose a changé en lui. Il est plus sensible à la détresse des personnes en face de lui, plus humain. On le sent prêt à faire preuve de clémence, de patience.
Et cela est dû à l’irruption de cette femme dans sa vie. Cette mère qui se sent responsable de son basculement dans la violence et la misanthropie, parce qu’elle l’a abandonné, jadis, quand il n’était qu’un enfant. Elle se dit prête à racheter ses fautes, à lui prodiguer l’amour dont il a manqué. Il a beau la repousser, la frapper, l’insulter, elle revient sans cesse à ses côtés, prête à tout pour expier ses fautes. Face à l’abnégation de cette femme, à cette façon d’encaisser les coups sans broncher, Kang-do en vient à remettre en question son comportement envers les autres, et se met en danger…
C’est cette figure féminine assez incroyable qui donne toute sa dimension au film de Kim Ki-duk.
Une dimension évidemment mystique et spirituelle, comme l’indique son titre. Pietà évoque en effet ce motif de l’iconographie chrétienne où la Vierge Marie tient dans ses bras le corps supplicié du Christ, mort sur la Croix. Il illustre bien les thèmes de la souffrance, de la douleur, du martyre et du sacrifice, mais aussi l’idée de la mort comme une libération.
Il y a quelque chose de troublant chez cette femme, porteuse d’un lourd secret, qui combat la violence et l’humiliation avec le pardon, la bienveillance et l’Amour. On n’est pas près d’oublier ce formidable personnage féminin, auquel Jo Min-soo apporte toute la densité psychologique, toute l’ambigüité requise.
Thy womb de Brillante Mendoza ●●●●●○
Shaleha exerce le métier de sage-femme dans la partie la plus méridionale de l’archipel des Philippines. L’ironie du sot veut qu’elle aide chaque mois des dizaines de femmes à accoucher alors qu’elle-même n’a jamais réussi à enfanter. Trois fausses couches lui ont fait abandonner l’espoir de devenir mère à son tour. Cela lui laisse quelques regrets, bien sûr, mais elle compense ce manque en pratiquant son métier et en s’occupant de son neveu. Ce qui la chagrine, en revanche, c’est de n’avoir pu donner un enfant biologique à son mari. Elle ressent la frustration de son conjoint. Aussi, elle décide de l’aider à lui trouver une seconde épouse, plus jeune, plus fertile…
Là aussi, il s’agit d’un très beau personnage féminin, porté par une actrice en état de grâce, Nora Aunor.
Elle est très juste et très émouvante dans le rôle de cette femme qui n’hésite pas à se sacrifier par amour, qui réussit à surmonter sa jalousie pour offrir à son mari le bonheur qu’il attendait. Même si cela, elle le sait, la condamne à s’effacer définitivement face à la beauté et la jeunesse de la nouvelle épouse.
La scène finale en dit long. Shaleha accouche sa rivale, prend immédiatement soin de l’enfant comme s’il était le sien, avant que son mari ne la remette sèchement à sa place. Elle n’est pas la mère de cet enfant, et elle fait désormais figure d’intruse au sein de la famille…
Thy womb, comme la plupart des films de Brillante Mendoza, est surtout prétexte à l’observation quasi-documentaire des us et coutumes de la société philippine. Après avoir restitué l’ambiance des villes avec John John, Serbis, Lola et, dans une moindre mesure, Kinatay , il observe cette fois-ci les traditions d’une communauté vivant sur une île de la Mer de Célèbes, au Sud de l’Archipel et juste à l’est de la Malaisie. Là aussi, il excelle à capter les couleurs, les lumières, les sons qui caractérisent la vie dans cette partie du Monde.
Remarqué, comme Pietà, à la dernière Mostra de Venise, Thy womb est assurément un très beau film. On regrettera juste le côté un peu répétitif des séquences, notamment les négociations autour de la dot à verser par le futur mari, qui plombent le rythme déjà très contemplatif de l’oeuvre.
On peut d’ores et déjà féliciter les programmateurs de ce 15ème festival de Deauville, riche en oeuvres de qualité. Si les films de la compétition ne sont pas toujours convaincants, la section non-compétitive est de haute tenue. Les réalisateurs confirmés sont bien au rendez-vous avec des oeuvres dignes de leur statut, et cela fait vraiment plaisir à voir. Et dire qu’il reste encore à découvrir le nouveau film, en deux parties, de Kiyoshi Kurosawa…
A demain, donc, pour la suite de notre compte-rendu du Festival du Film Asiatique de Deauville.