L’année du dragon, c’est le titre d’un film de Michael Cimino, avec Mickey Rourke dans le rôle principal. Un film américain, comme le festival de Deauville propose d’en découvrir à chaque fin d’été depuis près de quarante ans.
C’est aussi l’année qui vient de débuter le 9 février dernier, d’après l’astrologie chinoise. Une année qui devrait encore nous proposer quelques pépites cinématographiques venues d’Asie, dont certaines seront reprises par le Festival du film Asiatique de Deauville, le petit frère du précité, qui fête aujourd’hui ses 15 ans d’existence.
On espère que le souffle du dragon apportera à cette édition audace et talent. Des valeurs citées dans les discours d’ouverture du Maire de Deauville, Philippe Augier, et du Président du festival, Lionel Chouchan, qui ont aussi beaucoup mis en avant les notions de créativité, de diversité et d’ouverture sur des cultures différentes, des univers différents…
Pour la diversité et l’ouverture à des cultures différentes, on devrait être servis avec une programmation qui comprend des oeuvres venus de dix pays, et d’horizons aussi différentes que la Chine, l’Iran, la Thaïlande, la Malaisie,…, et de genres très différents.
Cette diversité, on la trouve aussi dans le jury présidé par Jérôme Clément. Lui a su briller dans plusieurs domaines culturels, administrant Arte, La Femis, le Musée d’Orsay et maintenant le Théâtre du Châtelet. Il est accompagné de la comédienne Evelyne Bouix, de l’actrice et productrice Julie Gayet, de l’auteur, scénariste et réalisatrice Géraldine Maillet, des réalisateur Djamel Bensalah et Michel Leclerc, de l’écrivain, réalisateur et artiste Atiq Rahimi.
C’est à eux qu’a été confiée la lourde tâche de départager les neuf films en compétition.
Et ils ont pu immédiatement se mettre au travail avec le film d’ouverture, Mai Ratima, le premier long-métrage réalisé par l’acteur coréen Yoo Ji-Tae (connu en France pour son rôle de méchant dans Old boy).
Pour le coup, le choc culturel a bien eu lieu, puisque le cinéaste a entraîné les festivaliers dans les bas-fonds de Séoul, avec les exclus, les immigrés clandestins et les marginaux, qui tentent de survivre dans des conditions difficiles. Un monde très éloigné du confort bourgeois de la cité normande…
Il raconte le parcours de Mai, une immigrée thaïlandaise, et de Soo-Young, un coréen sans emploi et sans argent.
La jeune femme est venue vivre en Corée pour gagner de quoi financer la prise en charge de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle a accepté un mariage arrangé avec un coréen handicapé, en échange d’un emploi dans l’usine de confection de son beau-frère. Au bout de quelques mois, elle réalise que sa paie n’a jamais été versée sur son compte, ni envoyée à sa famille. Elle exige de son beau-frère le versement des sommes dues, mais l’homme refuse. Il menace de ne pas faire les démarches pour renouveler le permis de séjour de MaI. Pire, il profite de la situation pour essayer d’obtenir des faveurs sexuelles.
La jeune femme se révolte et une violente dispute éclate à l’entrée du bureau de l’immigration. Sur le point d’être tabassée par son beau-frère, elle est sauvée par Soo-Young, un homme à la dérive depuis que sa petite amie l’a quitté.
Il convainc Mai de l’accompagner à Séoul, où il compte bien trouver un emploi et faire fortune. Mais sur place, ils découvrent un environnement aussi peu accueillant qu’en province. Sans argent, ils sont contraints de vivre dans des squats en attendant mieux. Mai, devenue clandestine, ne peut pas travailler. Et Soo-Young, qui n’a pas assez d’argent pour mettre en règle ses papiers d’identité, ne peut pas prétendre à des métiers conventionnels. Ils vivent dans des conditions déplorables, et avec la peur de se faire arrêter, mais au moins, ils s’aiment et s’entraident.
Mais tout est remis en question quand Soo-Young rencontre une affriolante escort, qui l’aide à décrocher un emploi plus rémunérateur – entre hôte de bar et gigolo pour clientes fortunées en mal d’affection… Grisé par l’argent facile, l’homme abandonne Mai, qui se retrouve livrée à elle-même, perdue dans un pays qui n’est pas le sien, dans une ville trop grande pour elle…
Voilà pour le choc des cultures…
De l’audace et de la créativité, il y en a aussi. Beaucoup. Trop, sans doute…
Yoo Ji-Tae s’autorise de curieux effets de mise en scène et de montage : ralentis, rotation à 180° autour des personnages avec flou artistique, plans-séquences acrobatiques, transitions en fondus enchaînés…
Parfois, c’est réussi, à l’image de ce plan-séquence où la caméra saisit l’étreinte de Mai et Soo-Young, s’élève au-dessus d’eux, au dessus de l’immeuble insalubre et crasseux dans lequel il se sont installés, et filme les lumières de la ville comme des étoiles. Mais c’est parce que le plan fait sens. Il montre comment le couple échappe pour un temps à la misère et au désespoir, par la seule force de leur amour. La seule chose qui leur reste. Et qui ne tient qu’à un fil…
Mais la plupart du temps, les effets sont totalement vains, et alourdissent inutilement le récit. Yoo Ji-Tae aurait dû avoir plus de foi en son récit, qui est suffisamment fort pour émouvoir le spectateur, et en ses acteurs, très justes et très touchants, plutôt que de chercher à nous en mettre plein la vue avec ses mouvements de caméra tarabiscotés. Une telle histoire aurait mérité un traitement plus simple, sans chichis…
On mettra tout cela sur le compte de l’inexpérience du cinéaste. Et d’une envie de mettre trop de choses, trop vite.
C’est cette impression qui domine : celle d’un trop plein.
Le cinéaste semble constamment chercher sa voie entre plusieurs styles, plusieurs tons, plusieurs façons de filmer et même plusieurs ramifications scénaristiques. Et il n’arrive pas à trancher, à l’instar du dénouement du film, qui semble immédiatement remis en question dans l’ultime séquence, qui fait office de générique de fin.
C’est frustrant, parce que les qualités artistiques sont là, le sujet est intéressant, les acteurs sont très justes. Mais l’émotion est parfois étouffée par ce trop plein esthétique et narratif. Dommage…
Cela dit, on est curieux de voir comment va évoluer le style de ce jeune réalisateur. La Corée du Sud, au cours des vingt dernières années, a révélé de nombreux cinéastes majeurs, comme Lee Chang-Dong ou Park Chan-Wook. Yoo Ji-Tae, avec sa patte technique particulière et son envie d’expérimenter autour du langage cinématographique, pourrait bien suivre le même chemin qu’eux, à condition de réussir à canaliser sa fougue et son énergie créatrice.
Même si Mai Ratima ne nous a pas totalement conquis, il correspond bien à ce que promettaient les organisateurs de ce 15ème Festival du Film Asiatique de Deauville. De l’audace et un regard sur le monde.
Etre surpris, secoués, touchés, interpelés, on ne demande pas autre chose d’un festival de cinéma. Alors, vivement la suite des projections, pour découvrir d’autres univers, d’autres styles, d’autres histoires.
A demain pour la suite de ces chroniques en direct du Festival du Film Asiatique de Deauville