Lors de la dernière cérémonie des Oscars, Dans ses yeux a créé la surprise en remportant la statuette du meilleur film en langue étrangère au nez et à la barbe des deux favoris, Un prophète et Le ruban blanc. Une victoire pas forcément méritée, car les deux films précités étaient d’excellent niveau, au-dessus du lot, mais pas honteuse non plus, loin de là… Le film de Juan Jose Campanella est en effet un thriller particulièrement bien mené, porté par un scénario intelligent – l’adaptation d’un roman à succès d’Eduardo Sacheri (1) – et de très bons acteurs argentins.
Le personnage central du film est Benjamin Esposito, un ancien assistant du procureur. Aujourd’hui retraité, il souhaite se mettre à l’écriture d’un roman. Mais ses tentatives le ramènent toujours et encore à ses vieux souvenirs professionnels, et notamment une affaire criminelle lui ayant laissé un goût inachevé.
En juin 1974, une femme avait été retrouvée violée et assassinée. Le service de Benjamin avait été chargé de l’instruction de l’enquête et, à l’époque, n’avait aucune idée des embûches que l’on placerait sur leur progression vers la justice et la vérité. Un parcours semé de fausses pistes, de faux-semblants et de retournements de situations, qui sont dévoilés un par un tout au long du film, créant un suspense haletant.
Difficile d’en dire trop sans risquer de gâcher au spectateur le plaisir de découvrir par lui-même l’intrigue. Disons simplement que l’enquête entamée dans les années 1970, ne se bouclera définitivement que trente ans après, après bien des surprises. Et qu’elle débouchera sur une réflexion autour des notions de justice et de châtiment, de peine de mort et de perpétuité…
Mais l’intérêt du film ne réside pas uniquement dans cette intrigue policière. En parallèle, le cinéaste développe un aspect plus romantique, en insistant sur le lien unissant Benjamin à celle qui fut son supérieur hiérarchique, Irene Menendez Hastings.
Leur rencontre s’est produite elle aussi en juin 1974, date à laquelle la jeune femme a pris ses fonctions de procureure. Immédiatement, une sorte d’attirance, de complicité s’est installée entre eux, mais n’a jamais dépassé le stade de la simple connivence entre collègues de travail. Les occasions de se rapprocher l’un de l’autre n’ont pas manqué, mais ne se sont pas concrétisées, par timidité, par peur de s’engager sur la mauvaise voie, ou à cause des répercussions de leur enquête.
Cette histoire d’amour contrariée, qui au passage, fait écho aux autres histoires d’amour frustré du récit, liées à l’intrigue criminelle, permet au film de s’appuyer sur autre chose que sur une mécanique bien huilée : des personnages de chair et de sang, de sentiments et d’espoirs. Qui donnent aux acteurs l’occasion de livrer des performances brillantes, tout en subtilité.
Le personnage principal est incarné par l’excellent Ricardo Darin, dont on avait déjà pu apprécier le talent et le charisme dans des films tels que Les neuf reines, XXY ou Kamchatka. Il est excellent dans le rôle de ce type tellement obsédé par son travail et son envie de faire triompher la justice qu’il est longtemps passé à côté de sa propre vie. Face à lui, Soledad Villamil (vue dans L’ours rouge) irradie de féminité et de sensualité, tout en imposant la force de caractère de son personnage.
Et Guillermo Francella vient compléter le trio d’investigateurs en apportant à la fois une touche d’humour et de tragédie, campant avec brio Sandoval, un agent du procureur rongé par l’alcool et la solitude, mais également capable d’inspirations géniales faisant progresser l’enquête.
Le film, enfin, peut s’appuyer sur Pablo Rago et Javier Godino, également impeccables dans leurs rôles respectifs…
Juan Jose Campanella partage avec son compatriote Pablo Trapero le goût d’une mise en scène simple et efficace. Sa réalisation, d’une sobriété et d’une précision exemplaires, ne cherche jamais à prendre le pas sur les performances des acteurs. Elle leur sert au contraire d’écrin, les magnifie. Pourtant, s’il le voulait, le cinéaste argentin pourrait en mettre plein la vue au spectateur, comme le prouve cet hallucinant plan-séquence dans un stade de football, où les détectives poursuivent leur suspect n°1, d’une durée et d’une intensité qui égalent, voire surpassent celui du Snake eyes de De Palma.
Enfin, le film vaut également par sa subtile évocation de la prise de pouvoir de la junte militaire et du début de la dictature argentine, qui dura de 1976 à 1983. La quête de vérité et de justice des personnages principaux correspond à celle du peuple argentin, opprimé pendant sept ans, et dont la plupart des citoyens ont subi la disparition de proches enlevés et assassinés par le régime d’alors…
Il n’est donc guère étonnant que Dans ses yeux ait réalisé de très bons scores au box-office argentin (2). Et, même si l’attribution de l’Oscar a pu surprendre de prime abord, on comprend tout à fait que ses qualités artistiques – classiques et efficaces – aient su séduire les votants de l’Académie. Mais ils ne sont pas les seuls à être tombés sous le charme du film de Juan Jose Campanella qui a remporté le Grand Prix du dernier festival du film policier de Beaune, plusieurs prix au festival de La Havane, et tous les principaux prix des Academy Awards argentins… Le public français saura-t-il lui aussi apprécier ce film de fort belle facture ? Les premiers résultats d’exploitation le laissent à penser…
(1) : “La pregunta de sus ojos” d’Eduardo Sacheri (apparemment, pas de traduction française disponible)
(2) : Le film a été vu par plus de 2 320 000 spectateurs en Argentine. C’est le deuxième plus gros succès populaire de l’histoire du cinéma argentin
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Dans ses yeux
El secreto de sus ojos Réalisateur : Juan José Camapanella
Avec : Ricardo Darin, Soledad Villamil, Guillermo Francella, Pablo rago, Javier Godino
Origine : Argentine
Genre : mysteries of love
Durée : 2h09
Date de sortie France : 05/05/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Critikat
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