Dans un jardin public new-yorkais, une dispute entre deux gamins du même voisinage tourne mal. L’un se saisit d’une branche d’arbre et frappe l’autre au visage, le défigurant et lui brisant les incisives. Les parents de la victime invitent chez eux les parents du coupable, afin de régler tout ceci à l’amiable.
Mais, tels enfants, tels parents… La discussion cordiale tourne également au vinaigre…
Ceux qui fréquentent les théâtres reconnaîtront aisément la trame de la pièce de Yasmina Reza, “Le Dieu du Carnage”, écrite en 2006 et jouée un peu partout sur la planète, dans plusieurs langues différentes. Il s’agit d’un huis-clos brillant où quatre personnages apparemment civilisés, couples et citoyens modèles, commencent par échanger poliment sur l’affaire qui les réunit (l’altercation entre leurs enfants) avant de finir par dévoiler leur vraie nature et se balancer des horreurs à la figure, en abordant au passage des sujets plus profonds et en laissant entrevoir un profond dégoût pour la vie médiocre qu’ils mènent.
Penelope (Véronique dans la pièce originale), qui se veut un modèle de tolérance, d’ouverture d’esprit, est beaucoup plus rigide qu’elle ne le pense et apparaît surtout comme une insupportable moralisatrice qui ne cherche qu’à se placer au dessus des autres.
Dans le même temps, alors qu’on la pensait forte comme un roc et un brin castratrice, elle se montre au contraire assez fragile et sensible, et incapable de faire plier son agaçant mari, Michael (Michel dans la pièce originale).
Le bonhomme apparaît tout d’abord comme un gros nounours attendrissant, un homme évitant soigneusement les conflits et cherchant toujours à ménager la chèvre et le chou. Mais au fil des minutes, il se révèle un macho rugueux aux idées un brin fascistes, qui n’est pas du tout sur la même longueur d’onde que son épouse. A vrai dire, plus le scénario avance, plus le couple semble être au bord de la rupture.
Le couple formé par Alan/Alain) et Nancy/Annette n’est guère mieux loti. Dès le départ, on sent que Madame est irritée par le comportement de Monsieur, qui passe son temps à régler des affaires par téléphone – il défend les intérêts d’une grosse compagnie pharmaceutique ayant commercialisé une molécule aux effets secondaires dangereux – et ne cesse d’interrompre grossièrement la conversation. Lui n’évolue pas vraiment au cours de l’oeuvre. Il reste un connard en costume sombre et au sourire carnassier, qui prend tout le monde de haut et se désintéresse autant du comportement de son rejeton que de cette histoire de bagarre qui a mal tourné. Pour lui, l’humanité n’obéit qu’au Dieu du Carnage et la seule loi valable est la loi du plus fort…
Mais curieusement, il met de côté son individualisme forcené pour se ranger du côté de Michael/Michel lorsque la conversation vire (provisoirement) à la guerre des sexes.
Et on est surpris de le voir aussi démuni quand il se retrouve privé de son précieux mobile. Pire qu’un gamin ayant cassé son jouet préféré : Il n’est alors plus qu’un pantin dévirilisé, ayant perdu tout son pouvoir.
Son épouse est peut-être le personnage le plus équilibré des quatre. Mais elle est peut-être aussi la plus faible. Elle subit sans broncher l’attitude détestable de son mari, se complaît dans cette situation. Et elle est peut-être celle qui se voile le plus la face quant à la violence dont son charmant bambin a fait preuve vis-à-vis de son petit camarade.
Bref, personne n’est vraiment tel qu’on le pensait sous le vernis de l’élégance bourgeoise et de la respectabilité.
En fait, assister à cet échange poli puis de plus en plus mouvementé entre les quatre personnages, c’est un peu comme visiter une belle maison, apparemment très bien entretenue, et de se rendre compte, en y regardant de plus près, que des fissures gigantesques sont camouflées sous les papiers peints, et que les fondations mêmes sont pourries, menaçant de faire écrouler l’édifice à tout moment… D’ailleurs, on en sort un peu ébranlé, à la fois amusé et sonné par ce jeu de massacre qui nous pousse à nous interroger sur nos propres défauts, nos propres doutes et nos faiblesse…
Pour jouer cette partition complexe, aux variations audacieuses, il était nécessaire d’employer un quatuor de comédiens virtuoses. Dans tous les pays où la pièce a été jouée, les metteurs en scène avaient fait appel à d’excellents interprètes. En France, ce furent Isabelle Huppert, Valérie Bonneton, André Marcon et Eric Elmosnino. En Grande-Bretagne, ce furent Janet Mc Teer, Tamsin Greig, Ralph Fiennes et Ken Stott. Et aux Etats-Unis, pour la version de Broadway, celle qui a servi de base au film, les rôles furent confiés à Marcia Gay Harden, Hope Davis, Jeff Daniels et James Gandolfini.
Ici, c’est aussi donc également du haut niveau d’interprétation : Jodie Foster est parfaite en bourgeoise pincée, plus fragile qu’elle n’en a l’air. Kate Winslet se tire bien d’un rôle alcoolisé où elle conserve sa classe naturelle tout en faisant des choses assez peu ragoûtantes. John C. Reilly joue de sa bonhommie puis de sa présence imposante pour incarner l’ambigu Michael. Et Christoph Waltz est aussi bon en yuppie arrogant qu’en nazi impitoyable dans l’Inglourious basterds de Tarantino. Donc, excellent…
Evidemment, il fallait aussi un bon metteur en scène pour rendre tout cela dynamique et éviter au spectateur de s’attarder sur les rouages de cette belle mécanique scénaristique. A fortiori parce que le récit se déroule entièrement à huis-clos et que cette forme narrative s’accommode généralement assez mal d’une transposition sur grand écran. Roman Polanski était probablement l’homme de la situation, lui qui, par le passé, nous a livré de superbes huis-clos avec Le Couteau dans l’eau, Répulsion ou La Jeune fille et la mort, ou des films se déroulant essentiellement dans des endroits fermés, étouffants, comme Le Locataire, Rosemary’s baby, Lunes de fiel…
Il réussit ici la gageure de donner l’impression que le film est tourné en une seule prise, dans un seul et même mouvement, même si ce n’est évidemment pas le cas. Polanski s’était beaucoup imprégné des films d’Hitchcock pour tourner son excellent Ghost writer. Le cinéaste polonais réitère en s’inspirant des mouvements de caméra de La Corde, modèle de mise en scène à huis-clos pour dynamiser la narration.
Tout s’enchaîne très vite, sans temps morts. C’est la grande force du film, qui sait faire oublier la mise en scène et les astuces narratives au profit de la mise en lumière du talent des interprètes. Mais c’est aussi sa principale faiblesse, car à vrai dire, tout est si rondement mené que l’ensemble finit par sembler un peu trop court et insuffisamment féroce, au regard du Carnage annoncé.
Oui, le rythme est peut-être un poil trop enlevé pour permettre de s’attacher aux personnages – si toutefois il est possible de s’attacher à des êtres aussi pathétiques de mauvaise foi, de moralisme douteux, de machisme ou de politesse mielleuse. A défaut d’aller plus loin dans le cynisme et la cruauté – un léger reproche qu’on peut aussi adresser à la pièce – on aurait aimé que le cinéaste prenne un peu plus le temps de contempler les faiblesses de ses personnages, de plus en plus manifestes au fil des minutes.
Mais attention, malgré ce petit bémol, Carnage reste très appréciable. Portée par son joli quatuor d’acteurs, par la mise en scène fluide et élégante de Polanski, par les dialogues souvent cinglants, cette adaptation réussit à garder l’esprit de la pièce originale et du texte de Yasmina Reza. Il ne fait nul doute qu’après un beau succès sur les planches du monde entier, l’oeuvre devrait gagner de nouveaux adeptes dans les salles obscures.
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Carnage
Carnage
Réalisateur : Roman Polanski
Avec : Jodie Foster, Kate Winslet, John C.Reilly,
Christoph Waltz
Origine : France, Pologne, Allemagne, Espagne
Genre : le charme discret de la bourgeoisie
Durée : 1h20
Date de sortie France : 07/12/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Excessif
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Je n’ai personnellement pas été conquis par ce film, mais je respecte tout à fait cette critique et analyse.
J’ai même envie de dire qu’ heureusement que le film eu un rythme élevé : )