2023_CANNES_SIGNATURES_WEB_1080x1080_02_INSTACette année, en compétition, on trouve beaucoup de fiction, comme d’habitude, et on assiste à un retour en force du documentaire. Et le cinéma d’animation dans tout ça, nous demanderez-vous?

Il sera représenté par le film de clôture, samedi, avec Elémentaire, le dernier long-métrage des studios Pixar. On trouve aussi quelques films dans des sections parallèles, comme Linda veut du poulet, à l’ACID, mais aussi le nouveau long-métrage de Pablo Berger, Robot Dreams, présenté en séance spéciale. Il s’agit d’une formidable adaptation de la bande-dessinée de Sara Varon, à la fois drôle, tendre et sensible, qui saura séduire un large public.
Le récit se déroule dans un New-York dystopique peuplé uniquement de personnages animaliers. Parmi eux, il y a Dog Varon, un chien qui commence à trouver sa solitude pesante. Un soir, il tombe sur une publicité pour un androïde de compagnie, à monter soi-même comme un meuble suédois. Il le commande illico. Après quelques efforts, le robot prend vie et devient un ami avec qui il peut partager ses loisirs, comme danser sur du Earth Wind and Fire, faire du roller ou pourquoi pas les deux en même temps. Il l’emmène partout avec lui, au restaurant, au ciné, à la fête foraine, ou encore sur la plage. Le problème, c’est que le métal et l’électronique combinés à l’eau salée, cela ne fait pas bon ménage et qu’au moment de quitter les lieux, le robot reste coincé sur le banc de sable, rouillé de partout. Dog n’a pas la force pour le traîner hors de là et décide de revenir le lendemain avec ses outils. Le problème, c’est que c’était le dernier jour d’été et que la plage est fermée jusqu’à l’été suivant. Ils vont devoir prendre leur mal en patience, chacun de leur côté, mais une année complète, c’est très long… Il peut se passer plein de choses imprévues, susceptibles de menacer leurs retrouvailles.
L’environnement graphique colle parfaitement avec la bande-dessinée d’origine et regorge de clins d’oeil pour cinéphiles. Certains trouveront peut-être l’animation rudimentaire, mais sa simplicité permet de se focaliser sur l’histoire et les émotions qu’elle véhicule. Les plus petits y verront une belle fable sur l’amitié et son côté précieux, les plus grands se remémoreront peut-être avec nostalgie certaines amitiés d’autrefois, emportées par les marées. En tout cas, il s’agit d’un très beau film.

Catherine Parr (Alicia Vikander) aurait probablement eu envie d’un ami robot, si elle n’était pas née au XVIème siècle et si on ne lui avait pas déjà imposé un mari, le roi Henry VIII (Jude Law) Elle aurait gagné au change car l’homme n’était pas très stable en amour. Il avait déjà épuisé cinq compagnes avant de l’épouser : Catherine d’Aragon (mariage annulé), Anne Boleyn (décapitée), Jeanne Seymour (décédée durant son accouchement), Anne de Clèves (mariage annulé) et Catherine Howard (décapitée). Il pouvait se montrer colérique et violent surtout quand il buvait ou que sa jambe infectée le lançait. Dans Firebrand de Karim Aïnouz, Catherine Parr arrive au bout de son état de grâce. Elle a déjà eu une longévité plus importante que la moyenne, en profitant sans doute des absences de son époux, souvent parti guerroyer par monts et par vaux. Mais elle a aussi su gagner sa confiance puisque lors de son dernier voyage, il lui a permis d’assurer la régence à sa place, ce qui lui a permis de faire avancer certaines idées personnelles en matière de religion et de paix sociale. Mais elle a eu le tort de se croire intouchable en allant à la rencontre d’Anne Askew, l’une de ses amies d’enfance, devenue l’égérie des Protestants et une farouche opposante au régime en place. Cette relation la met en grand danger car, conscients que le règne de Henry VIII touche à sa fin, les différents clans du royaume se posent la question de sa succession et manoeuvrent pour placer leurs pions dans l’entourage des héritiers. Certains ne seraient pas contre l’idée de mettre Catherine hors piste et une telle information suffirait pour la conduire à l’échafaud ou au bûcher… Ce récit développe une sorte de suspense historique aux enjeux assez limités puisqu’il ne s’agit pas de savoir si le Roi va avoir envie de punir son épouse mais quand, comment, et avec quels appuis en interne. La mise en scène de Karim Aïnouz, bien qu’un peu trop sage, assure une narration bien rythmée et sait valoriser les performances de Jude Law, méconnaissable et terrifiant, et Alicia Vikander, parfaite incarnation de cette régente moderne et visionnaire. Cela a permis une belle montée des marches, mais pas sûr que le film, de son côté, ait touché les festivaliers à en croire l’accueil, assez tiède,  lors de la projection de presse.

Les affres de la vie de couple sont aussi au coeur d’Anatomie d’une chute de Justine Triet et si le personnage principal, Sandra (Sandra Hüller) avait épousé un robot, elle ne serait sans doute pas aujourd’hui sur le banc des accusés. La police la soupçonne en effet d’avoir assassiné son mari, Samuel, que l’on a retrouvé mort au pied de leur chalet, victime d’une chute depuis le deuxième ou le troisième étage. Les experts n’arrivent pas vraiment à trancher. Dans le premier cas, hypothèse soutenue par le procureur, la victime aurait été assommée et jetée du balcon. Dans le second, thèse de la défense, il pourrait s’agir d’un suicide. Les autres possibilités, l’accident et le meurtre commis par un rôdeur, ont rapidement été écartées. Ne restent que deux versions possibles qui s’opposent lors du procès. Chaque partie tente de rassembler des éléments à charge ou à décharge. Les uns pour démontrer que Sandra a assassiné son mari suite à une énième dispute conjugale, dévoilant au passage les détails les plus plus sordides de leur mariage. Les autres pour prouver que Samuel était dépressif et qu’il a mis fin à ses jours. Cette affaire est complexe. Elle ne repose que des témoignages incertains et très peu de preuves directe. Les analystes se succèdent sans réussir à conforter une version plutôt qu’une autre. Dès lors, tout est sujet à interprétation. Chaque camp construit une histoire en utilisant des bribes de réel, comme Sandra, romancière, le fait pour écrire ses bouquins.
La réalité contre la fiction, la recherche d’une vérité dans des récits parcellaires, incomplets, on retrouve là plusieurs des thèmes vus les jours précédents, car même si le délégué général se défend bien de choisir des films pour servir une thématique globale, il y a toujours des passerelles qui relient les œuvres de la sélection officielle. Certaines sont liées à des préoccupations universelles, d’autres à des choix de sélectionneurs, mais ces liens existent et il est toujours amusant de les dénouer pour les besoins de ces chroniques quotidiennes.

Parfois, les liens sont très simples. Par exemple, aujourd’hui, le dénominateur commun, c’était le facteur canin. Le personnage principal de Robot Dreams? Un chien…
Un des éléments décisifs du film de Justine Triet ? Le témoignage du fils de Sandra et Samuel, aveugle depuis un accident quelques années plus tôt et accompagné d’un… chien (voilà, vous suivez…).
Et dans le film de Karim Aïnouz ? Henry VIII, a cause de son abcès au pied a un mal.. de chien. Ca ne compte pas? Attendez, il y a bien un chien dans le récit, celui d’une des filles du roi. Certes, il n’a pas vraiment de fonction dans l’intrigue, mais on se demande à une ou deux reprises s’il ne va pas subir le courroux de Barbe-Bleue. Sa présence le place d’office dans la compétition à la Palme Dog, qui sera remise en off en fin de festival.

Donc, clairement, c’était la journée tout toutou et ce n’est pas le pauvre chat rongé par l’acide dans le film éponyme de Just Philippot qui dira le contraire (mais nous y reviendrons demain).

Une dernière preuve pour vous convaincre ?
Dans Project Silence de Tae-gon Kim, projeté en séance de minuit, on suit un groupe de personnages particulièrement malchanceux. En route pour l’aéroport d’Icheon, ils doivent rouler dans un brouillard à couper au couteau, ce qui provoque un carambolage gigantesque et l’effondrement partiel de l’édifice. On vous le dit, ils n’ont pas de bol… Mais le pire, c’est que l’accident a libéré des créatures terrifiantes, fruits d’une expérimentation secrète parrainée par le gouvernement coréen. Et ces créatures, on vous le donne en mille, sont des… cabots! Gagné!
Mais attention, chiens méchants…
Rien à voir avec le chihuahua hargneux à sa mémère qui essaie de vous chicoter les chevilles quand vous déambulez sur la Croisette, non. Là, ce sont des molosses de compète, clonés sur un ersatz de doberman plus costaud et malin que la moyenne, une sorte de Dark Medor sud-coréen, le King-Kong des Gull-Dong. Enfin, malin, c’est relatif… Parce que vu que les bourdes accumulées par les personnages, la meute de chiens féroces ne devrait pas avoir besoin de 1h40 de long-métrage pour en venir à bout (et les festivaliers pourraient aller faire coucouche panier plus tôt, ce qui, en milieu de festival, serait appréciable…). Que faire en cas de carambolage? Attendre patiemment les secours ou sortir de son véhicule pour voir ce qu’il se passe? Les protagonistes choisissent la seconde option, au risque de voir d’autres bagnoles leur foncer dessus…  Comment sauver les naufragés de la route ? Ben, il n’y a qu’à envoyer un hélicoptère, conclut le chef de la sécurité. Eh, mais ouais, bonne idée. Sauf que le brouillard, c’est aussi pour les hélicos, qui se crashent illico. Bien joué , Toto! Des bêtes féroces déambulent en grognant. Je m’enferme dans mon véhicule ou je reste planté là comme une andouille sans rien faire? La deuxième option semble très prisée par nos héros et c’est finalement une bonne stratégie, car les toutous malins doivent se dire, “non, c’est trop simple, il doit y avoir un piège…”. Eh non… Le piège, il est juste pour le spectateur, qui doit supporter cette espèce de nanar canin, ses personnages caricaturaux, joués par des acteurs en plein cabotinage, son scénario concon, qui ferait presque passer le Daylight de Rob Cohen pour un chef d’oeuvre bergmanien. Quand à la mise en scène, elle rate même les séquences d’action, rendues illisibles par un montage en mode lévrier sous acide. Non, mais que fait ce truc en sélection officielle? Ouste, à la niche! Ramasse ta daube, Hermann!

Si on arrive à se faire vacciner contre la rage, à demain pour la suite de nos chroniques cannoises.

Crédits photos : Photo © Jack Garofalo/Paris Match/Scoop – Création graphique © Hartland Villa Visuels fournis par le service presse du Festival de Cannes

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