Banel et Adama affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

Des amours contrariées de Banel et Adama, victimes du réchauffement climatique et des superstitions locales.

Banel et Adama ont toujours vécu dans un petit village au nord du Sénégal, dans une zone désertique. Banel a écrit leurs deux noms dans un cahier, sur des pages et des pages, comme un mantra qu’elle se répète pour conjurer le sort et espérer vivre avec celui dont elle est amoureuse. Elle avait dû se marier avec le frère aîné d’Adama avant que celui-ci ne décède récemment. Depuis, elle a eu le droit d’épouser Adama et le couple envisage de quitter le village pour s’installer dans une maison inhabitée à quelques kilomètres de là. Mais avant cela, il faut déjà remettre en état la demeure, partiellement ensevelie sous le sable. Il faut aussi qu’Adama refuse la charge qui lui est destinée puisqu’il est censé devenir chef du village, par droit du sang.
Les villageois ont du mal à accepter cette entorse aux traditions, comme ils voient d’un mauvais oeil le fait que Banel ne soit toujours pas tombée enceinte, un an après leur mariage et cette idée saugrenue de vouloir habiter hors du village n’arrange rien.
Quand la sécheresse frappe durement le village, les vieilles superstitions refont surface et plusieurs personnes font pression sur Adama pour qu’il revienne sur sa décision. Et plus la canicule dure, occasionnant des victimes parmi les animaux comme parmi les habitants, plus le jeune homme est assailli par les doutes.

Pourquoi le film nous embrase ?

Les jeunes auteurs qui accèdent à la compétition cannoise sans être préalablement passés par Un Certain Regard, la Cinéfondation ou l’une des sections parallèles sont rares. Et les premiers films qui intègrent directement la compétition cannoise le sont encore plus. Ramata-Toulaye Sy a réussi ce tour de force avec Banel & Adama et après l’avoir vu, on comprend tout à fait le choix de Thierry Frémaux et son équipe. Il s’agit d’une oeuvre puissante, envoûtante, qui frappe par son côté hybride.

On ressent d’abord, évidemment, ses racines africaines. Ramata-Toulaye Sy adopte la forme d’un conte africain moderne, où les personnages doivent affronter des forces qui les dépassent et essayer de forcer le destin pour trouver une échappatoire à leur condition. Elle s’inscrit aussi dans la lignée du cinéma sénégalais. On pense notamment à Ousmane Sembène (Moolaadé, Faat Kiné) ou Safi Faye (Mossane), qui abordaient aussi, dans leurs oeuvres, la question de la place de la femme dans une société patriarcale où le poids des traditions est fortement ressenti.

Mais on sent aussi que la cinéaste a grandi en France. Ramata-Toulaye Sy a suivi un cursus classique et une formation de scénariste à la Fémis. Son cinéma est aussi marqué par ses influences occidentales, de la tragédie grecque antique au cinéma social des frères Dardenne. Elle fait de Banel une héroïne de tragédie, revendique même avoir voulu en faire “une sorte de Médée moderne”. Effectivement, le personnage, incarné avec conviction par la jeune Khady Mané, formidable, s’avère complexe, ambigu, changeant. Il évolue au gré du récit. Banel apparaît tout d’abord comme une femme forte, invulnérable, portée par sa soif d’émancipation et son amour pour Adama. Elle est prête à défier les traditions, couper tout lien avec les habitants du village. Mais plus la sécheresse s’installe, plus la jeune femme devient vulnérable, en proie à l’hostilité de ses voisins et à un destin déjà écrit. Un piège fatal semble se replier sur elle, la promettant à un rôle d’épouse, de mère,  si elle n’est pas répudiée avant. Mais là encore, ce n’est pas si évident. Car Banel montre certains côtés étranges, voire inquiétants : elle tue des animaux au lance-pierre – comme s’il n’y avait pas assez de bêtes victimes de la canicule -, les fait griller, ou chasse régulièrement ce gamin du village qui semble percer à jour sa folie naissante. On se dit que la jeune femme serait capable de tout par amour, y compris au meurtre – et on se demande si son époux précédent est bien mort accidentellement… C’est un personnage absolument passionnant.

Les côtés inquiétants, fiévreux de Banel permettent à la cinéaste de quitter les rails du film d’art & essai classique, du cinéma-vérité, pour aller sur les terres d’un cinéma de genre ambitieux, plus onirique, flirtant avec le fantastique, comme l’avait fait une autre benjamine de la compétition cannoise, ayant elle aussi une double culture franco-sénégalaise, Mati Diop dans Atlantique, en 2019. Biberonnée aussi bien par les films art & essai que les blockbusters, Ramata-Toulaye Sy ose même la carte du spectaculaire, à l’instar de son final, impressionnant, qui donne encore au film une autre dimension.

Banel & Adama est un premier film prometteur, porté par une mise en scène ambitieuse, une jeune actrice amatrice exceptionnelle et réussissant à aborder, à sa manière, de grandes problématiques d’aujourd’hui, comme le réchauffement climatique, l’exode rural, le poids des traditions et l’émancipation de la femme, au coeur d’un récit plus intimiste, autour d’une histoire d’amour flamboyante.
Qu’elle figure ou non au palmarès, Ramata-Toulaye Sy a déjà réussi son pari. Elle s’est fait une place à la cour des grands et on attendra son prochain film avec impatience.

Contrepoints critiques :

”Sy’s film is a curious little fable, not quite fully formed in its final stages, and occasionally so sedate and opaque, under Bachar Mar-Khalifé’s melodic, piano-forward score, that it feels like it is drowsing.”
(Jessica Kiang – Variety)

”Si Banel & Adama est réussi sur le plan esthétique, il reste assez fragile, avec des personnages figés et sans grande saveur. Un film qui se révèle pas assez abouti pour être sélectionné en compétition”
(Vanessa Bonnet @_garmonbozia sur Twitter)

Crédits photos : Copyright La Chauve-souris – Take Shelter – Images fournies par le Festival de Cannes

REVIEW OVERVIEW
Note :
SHARE
Previous article[Cannes 2023] « May December » de Todd Haynes
Next article[Cannes 2023] Jour 5 : Faites entrer l’accusé
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY