De quoi ça parle ?
De Tori et Lokita, deux migrants qui ont quitté le continent africain et traversé la Méditerranée avant d’arriver en Belgique.
Les autorités décident de donner des papiers au petit garçon, car ils ont eu confirmation qu’il était considéré comme un « enfant-sorcier » dans son village d’origine et donc victime de discriminations et de brimades. En revanche, ils refusent d’attribuer des papiers à Lokita, qui se présente comme sa « grande sœur ». Ils estiment en effet que la jeune femme ment au sujet des liens qui l’unissent au petit garçon.
Bien vu : elle n’est pas sa sœur biologique. Lokita a choisi de partir en Europe, comme tant d’autres, car le niveau de vie y est supérieur à celui de son pays et que même le job le plus mal payé pouvait lui permettre d’aider financièrement ses proches restés au village. Elle a rencontré Tori, petit garçon isolé, comme elle, sur le bateau qui leur faisait traverser illégalement la Méditerranée. Ce sont deux compagnons de galère, en quelque sorte, qui ont se sont adoptés mutuellement pour former une famille de cœur.
Mais pour les services de l’immigration, cela ne suffit pas. Lokita est coincée. Sans papiers, elle ne peut pas obtenir de travail légal, donc pas de salaire qui lui permettrait à la fois de rembourser ses dettes auprès du passeur qui l’a emmenée en Belgique,d’aider sa famille au pays et de vivre tranquillement avec Tori dans un vrai appartement. Elle n’a pas d’autre choix que de demander des faux-papiers et de se compromettre avec un sale type qui les emploie régulièrement, Tori et elle, pour livrer la marchandise à ses clients.
Pourquoi on ne passe pas la frontière?
Comme les frères Dardenne utilisent toujours la même recette qui leur a déjà valu deux Palmes d’Or, un grand prix du jury et plusieurs autres prix à Cannes, ce nouveau film tient forcément la route également. On s’attache évidemment aux deux protagonistes, joués par deux acteurs tout à fait crédibles et on compatit à leurs malheurs, filmés à bonne distance par les cinéastes, sobrement, avec une économie d’effets lacrymaux.
Alors, où est le problème, nous direz-vous?
Le problème, c’est que l’oeuvre ne laisse aucune place à la surprise. On sait par avance comment les frères Dardenne vont placer leur caméra, déterminer à la seconde près la durée de chaque plan, les accélérations et les ralentissements.On peut aussi prédire dès le départ ce qui va se passer au cours du scénario, presque dans les moindres détails, et notamment la fin, car les films des frères Dardenne finissent comme les histoires d’amour en général… Alors oui, c’est du cinéma efficace, inattaquable sur la forme et sur l’intention. Mais aussi, disons-le, du cinéma terriblement paresseux.
Le concept peut fonctionner indéfiniment, avec tous les miséreux de la planète. A la place de Tori et Lokita, on peut imaginer l’histoire de Lorna et Solkol, immigrés albanais… Ah pardon, c’est déjà fait… Alors des migrants sud-américains, Desgracia et Expotado, venus en Europe trimer pour une bouchée de pain, exploités par des salauds de patrons. Ou encore des clandestins chinois traqués par la police et logés dans des appartements insalubres. Ça fonctionne avec des héros masculins ou féminins, leur enfant, le fils de leur enfant, à vélo ou en mobylette ou en roller, pour des générations encore.
D’aucuns penseront qu’on exagère. Un peu, c’est vrai… Les frère Dardenne n’ont pas abordé tant que cela la question des migrants dans leur filmographie. Un peu dans Le Silence de Lorna, évoqué plus haut, qui tournait autour des mêmes thèmes. Mais on a l’impression d’avoir déjà vu cette histoire des dizaines de fois filmée par d’autres cinéastes qui sont probablement sous influence des réalisateurs belges. De ce fait, on a l’impression que le duo enfonce un peu des portes ouvertes, surtout avec un dispositif aussi manichéen. On s’agace surtout du dénouement du film, qui semble un peu trop moralisateur et donne l’impression de se tromper de cible.
Enfin, même si, en tant que spectateur, on peut aimer avoir ses petites habitudes, ses repères rassurants, on peut aussi attendre un peu plus d’audace parfois, des prises de risques sur le fond ou la forme. Ken Loach, qui est l’autre grand spécialiste du cinéma social, a tourné des drames et des comédies, abordé des sujets très différents les uns des autres sans perdre sa boussole militante. Les frères Dardenne, eux semblent se complaire dans la mise en scène du malheur et une mise en scène formatée.
On comprend la logique de leur oeuvre, la volonté de mettre en avant les invisibles, ceux qui souffrent en silence ou dans l’indifférence générale, et composer, en mettant leurs portraits bout à bout, de film en film, une sorte de grand récit humaniste. Leur “Comédie Humaine” à eux, en quelque sorte. Ou plutôt leur “Drame Humain”. C’est ainsi qu’ils passeront à la postérité. Mais à ce moment-là, qu’on leur donne une Palme globale pour leur opus magnum, une bonne fois pour toutes, et qu’on présente leurs films dans d’autres festivals où leur engagement social pourra gagner d’autres adeptes, toucher d’autres publics.
Palmomètre :
Vu que le film est calibré comme les précédents, il pourrait bien gagner une troisième Palme d’Or. Mais vous l’avez compris, pour nous, c’est non…
Contrepoints critiques :
”Tori & Lokita avait la gueule d’une Palme d’or historique avec son duo de débrouillard courageux, car s’il met du temps à démarrer, le récit monte crescendo jusqu’à un dernier tiers hyper prenant. Mais avec cette fin aussi crasse qu’opportuniste, c’est un grand non.”
(@A_Janowiak sur Twitter)
”Avec un scénario qui prohibe le sentimentalisme et une mise en scène physique qui rend compte à chaque instant de la lutte de ces personnages en guerre pour leur survie, les Dardenne entraînent le spectateur dans un récit haletant et même suffoquant qui raconte un monde, le nôtre, où l’exploitation est une norme et où l’humanité des migrants, ces damnés de la terre de notre temps, est foulée aux pieds.”
(Olivier De Bruyn – Marianne)
”De petites souris impuissantes dans un monde de chats sans conscience. Ça ne fait pas un grand film, mais ça pourrait plaire au jury.”
(Marie Sauvion – Télérama)
Crédits photos : Copyright Christine Plenus – images fournies par le Festival de Cannes