De quoi ça parle ?
D’un tueur en série s’attaquant aux prostituées de Mashhad, en Iran, et de l’enquête d’une journaliste bien décidée à l’identifier et le coincer, quitte à servir elle-même d’appât.
Pourquoi on est pris dans la toile ?
La trame est celle d’un thriller classique, mais Abassi a bien retenu les leçons d’Alfred Hitchcock, le maître du suspense. Le début évoque beaucoup Psychose, puisque le cinéaste commence par se focaliser exclusivement sur le personnage de Somayeh, une jeune mère de famille, comme Hitchcock se concentrait sur le personnage de Marion Crane/Janet Leigh dans son film avant de la faire disparaître brutalement du film, via la fameuse “scène de la douche”.
Somayeh borde son fils, l’embrasse et lui souhaite bonne nuit avant de se préparer à sortir. Elle arpente le trottoir en quête de clients, couche avec des types violents et méprisants pour quelques billets, de quoi s’acheter ses doses d’opium et payer ses dettes à son dealer. Elle finit par accepter une ultime passe et suit Saeed (Mehdi Bajestan), un homme apparemment plus doux que ses clients habituels – et a de faux airs d’Anthony Perkins. Il est prévenant, l’invite à s’installer, boire un verre ou prendre une douche (euh…)
Mais Somayeh panique et essaie de rebrousser chemin. L’homme ne lui en laisse pas le temps. Il se précipite sur elle et l’étrangle, avant de la ficeler et de jeter son cadavre en périphérie de la ville. Comme la dizaine d’autres victimes qu’il a assassinées, dans des circonstances similaires. Pas de scène de la douche, du coup, et pour le modus operandi du tueur, c’est plus Frenzy que cela évoque. Mais le résultat est similaire à celui de Psychose, un choc pour le spectateur.
La différence, ici, c’est que ce n’est pas du cinéma. Le film s’inspire d’une série de crimes commis en Iran par un homme apparemment bien sous tous rapports, bon père de famille, ancien vétéran de la guerre Iran/Iraq. Le second tiers du récit dresse son portrait, atypique. Il n’était probablement qu’un pervers, sexuellement frustré, qui prenait du plaisir à tuer des femmes. Mais il abritait ses actes derrière sa ferveur religieuse. Il se prétendait en effet investi d’une mission divine en éradiquant des rues de Mashhad les “femmes de mauvaise vie”. Il se pensait d’utilité publique, en quelque sorte, et comme il entendait de nombreux concitoyens, après chaque crime, faire l’éloge de ce mystérieux justicier rendant les rues plus pures, il n’avait aucune raison de cesser sa croisade criminelle.
C’est là que Les Nuits de Mashhad prend toute sa dimension. Plus qu’un thriller, le film d’Ali Abbasi est une charge violente contre le système patriarcal iranien et un plaidoyer pour l’émancipation de la femme.
Le personnage de Rahimi (Zar Amir Ebrahimi), s’impose peu à peu comme le point central du récit. En réussissant, par sa prise de risque, à coincer l’assassin, mais surtout en étant elle-même, par sa condition, une proie potentielle, constamment confrontée au regard des hommes, tantôt libidineux, tantôt moralisateur.
Malgré son statut de journaliste influente, Rahimi subit régulièrement la pression du patriarcat. On lui reproche un hijab mal ajusté, une attitude trop provocante, une simple cigarette allumée. Même louer une chambre d’hôtel, en tant que femme célibataire, peut lui poser problème. Tous ces grand-frères qui veillent sur sa moralité et sa réputation, quelle chance ! Personne, en revanche, ne cherche à stopper les crimes du tueur-araignée ou empêcher violeurs et harceleurs de sévir. La police? Pfff… Le chef de l’autorité locale affiche envers les femmes est tout aussi détestable que celle des criminels qu’il est censé traquer.
En quelques jours, la journaliste doit repousser les avances – presque une tentative de viol – de cet odieux personnage, échapper à l’agression potentielle d’un type louche qui la suit en moto, à la nuit tombée et, donc, à une attaque de l’assassin. La routine d’une femme iranienne…
Un seul homme se montre à peu près respectueux avec elle, son collègue journaliste, Sharifi (Arash Ashtiani). Il représente l’espoir d’une société plus équitable, moins machiste.
Mais cet espoir est vite douché par un constat terrible. La caméra finit par se fixer sur le jeune fils de Saeed, qui semble prêt à reprendre le flambeau. Comme pour dire qu’en Iran, la violence faite aux femmes se transmet de père en fils, telle une maladie héréditaire. Le système patriarcal, maintenu à flot par un pouvoir politique et religieux oppressant, a encore de beaux jours devant lui.
Palmomètre :
Le film est assez réussi et aborde l’une des thématiques majeures de ce festival 2022. Il a ses chances, peut-être pas pour la Palme d’Or, mais pourquoi pas pour le Grand Prix du Jury ou pour son actrice principale (honneur aux dames).
Contrepoints critiques :
”Le film d’Ali Abbasi, inspiré d’un fait divers iranien, est un thriller tapageur montrant la violence avec complaisance.”
(Didier Péron – Libération)
”Just watched Holy Spider today, by Ali Abbasi, and absolutely loved this movie. It is definitely a strong film that brings relevant moral embates about a society that is very cruel and violent to women based on religious fundamentalism and corruption”
(@fabianalr_ sur Twitter)