Le film s’ouvre sur une paire de fesses, que le jeune Amin (Shaïn Boumedine), personnage central de Canto Uno, photographie avec un mélange de pureté et de désir.
Il continue sur d’autres paires de fesses, celles d’un groupe de baigneuses en train de twerker dans la Méditerranée-, pourquoi pas, c’est un entraînement comme un autre…- ou de jeunes femmes se dorant la pilule au soleil sur les plages sétoises, à la fin de l’été 1994. Parmi elles, la jeune Marie (Marie Bernard), une parisienne en vacances. Comme Céline (Lou Luttiau) ou Charlotte (Alexia Chardard) dans Canto Uno, elle est vite abordée par les deux dragueurs du coin, Tony (Salim Kechiouche) et Aimé (Roméo De Lacour), et intégrée au sein de leur petite bande. Ils parlent d’études, de philosophie et autres sujets plus ou moins profonds, sous le regard jaloux d’Ophélie (Ophélie Bau). Cette dernière doit épouser son fiancée, militaire en mission en Iraq, dans moins d’un mois, mais continue d’entretenir une liaison avec Tony. Elle s’agace d’autant plus de son côté volage qu’elle est enceinte de lui et doit prendre une importante décision quant à son avenir. Avorter et se marier comme prévu ou tout quitter pour fonder une famille avec le père de son enfant si celui-ci consent enfin à devenir responsable.
On se dit alors, naïvement, qu’Abdellatif Kechiche va filmer les cœurs plutôt que les culs. Raté ! Tout ce petit monde se retrouve en boîte de nuit et c’est parti pour près de trois heures de postérieurs en mouvements. Des culs qui twerkent, des fesses qui se frottent les unes contre les autres ou contre l’entrejambes des messieurs. Et quand il ne filme pas des fesses, le cinéaste s’attarde sur les corps qui se déhanchent de plus en plus lascivement sur le dancefloor, les filles qui s’exhibent sur les podiums, enroulées autour des barres de pole dance, ou qui se passent des glaçons autour du décolleté pour faire monter la vapeur.
Les discussions sont rares. Elles tournent surtout autour du sexe : avec qui Amin, toujours aussi taiseux et inactif, va-t-il passer la nuit ? Céline qui, bien que flirtant avec tous les garçons, sait que le Mektoub l’unira au jeune apprenti cinéaste ? Dany, la copine d’enfance ? Marie, qui est aussi intello que lui mais aussi dévergondée que Céline ? Une autre fille ? Quel enjeu, vraiment… Quant à Ophélie, qui continue de jauger un Tony perturbé par la situation, elle doit aussi faire face aux propositions malhonnêtes d’Aimé, qui aimerait bien l’aider à enterrer sa vie de jeune fille.
Assez vite, on se retrouve dans la situation d’une personne qui ne danse pas et ne boit pas lors d’une soirée en boîte de nuit. On s’ennuie à mourir. Les personnages aussi. Camélia (Hafsia Herzi) esquisse un bâillement après une heure de séquences de danse et se met à discuter avec sa nièce, Mel (Meleinda Elasfour). Et de quoi parlent-elles? Devinez… De cul, évidemment. “Tu aimes quel genre de cul ? “ se demandent-elles l’une à l’autre, avant de disserter sur le sujet. Là, on se dit que Kechiche se moque de nous, et que sa plaisanterie va bientôt cesser pour laisser place au véritable récit. Mais non… Ca continue, avec des danses de plus en plus “dirty”.
Au bout de deux heures de danse, Hafsia Herzi roupille sur le sofa. Mel annonce qu’elle va “faire caca” (sic). On la comprend. On se fait également ch…
Alors, Abdellatif Kechiche, conscient qu’il doit diversifier un peu l’action, décide d’ajouter une scène de… sexe. Hop, c’est parti pour treize minutes de cunnilingus dans les toilettes de la boîte de nuit (oui, pas très romantique…), filmé sous toutes les coutures. Il fallait bien que la tension se libère… Après cela, plus grand chose, sauf des fesses qui se secouent mécaniquement jusqu’au bout de la nuit et de l’ennui…
Quand finalement la caméra quitte enfin le night club, la salle – du moins les courageux qui ont subi l’épreuve jusqu’au bout ou qui n’ont pas sombré dans les bras de Morphée – pousse un soupir de soulagement. Mais le plan suivant s’attarde sur… des fesses. Et le film se clôt ainsi, nous laissant avec le sentiment de nous être laissés berner par le cinéaste.
Certes, le titre annonçait la couleur. Un intermezzo, dans le théâtre italien du XVIIIème siècle était un entracte musicale entre deux morceaux d’une pièce plus ambitieuse. Ici, effectivement, l’intrigue est inexistante et tout n’est que danse et musique (et sexe). C’est une simple parenthèse, prétexte à une expérience visuelle et sonore. Le problème, c’est qu’un intermède de ce type est censé être court et proposer autre chose que ce qui a déjà été dépeint dans l’acte précédent. Il y avait déjà ces éléments dans Canto uno, tout comme il y avait une scène de sexe et une séquence d’une demie-heure en boîte de nuit, déjà un peu longuettes. Quel est l’intérêt de cette répétition? Montrer que ces jeunes gens ne peuvent s’empêcher de reproduire les mêmes schémas, soirée après soirée, et multiplier les flirts? Qu’ils agissent un peu comme des robots, mus par leur seuls désirs, sans penser aux conséquences? D’accord, mais y avait-il besoin de deux films de plus de trois heures pour cela?
Dans le premier opus, le propos était plus limpide. Kechiche filmait les corps, mais aussi les âmes. Amin observait les choses avec naïveté et une certaine pureté. Il observait la beauté des corps en mouvements, non sans un certain désir, mais il observait aussi la beauté de la vie en général, qui transparaissait dans la scène de la naissance d’un agneau. Rien de tout ça ici… Cela dit, il faut aussi prendre en compte le changement de centre de gravité du film, qui passe d’Amin vers Ophélie. Autant le jeune homme restait dans un poste d’observateur silencieux et passif, guidé par la raison, autant la jeune femme est dans l’action, guidée avant tout par ses pulsions, ses désirs. De ce point de vue, le parti-pris du film peut se défendre. Mais il faudra voir comment le cinéaste abordera le troisième chapitre, d’ores et déjà prévu, et comment le tout formera un ensemble cohérent. Reste à voir si les spectateurs accepteront de continuer l’aventure après ce second opus éprouvant, car l’oeuvre n’en demeure pas moins inutilement étirée, boursoufflée, truffée de moments gênants et de provocations gratuites.
Maintenant, peut-être sommes-nous trop idiots pour comprendre le génie de Kechiche, qui, dès la citation biblique de départ – “Ils ont des yeux et ils ne voient pas. Ils ont des oreilles et ils n’entendent pas…”- se place au dessus de la mêlée. Nous avons des yeux et nous voyons bien que le cinéaste se complait à filmer des fesses de jeunes femmes sous toutes les coutures. Nous avons des oreilles et nous aimerions entendre autre chose que “Voulez-vous” d’Abba en boucle, ou le beat assourdissant des boîtes à rythme technos. Nous avons encore assez de mémoire pour nous souvenir de la filmographie du cinéaste avant les polémiques qui avaient entachées la Palme d’Or reçue pour La Vie d’Adèle. Depuis, Abdellatif Kechiche semble aigri, drapé dans une posture d’auteur refusant toute critique. Il semble ne faire des films que pour agacer ses détracteurs, les provoquer et jouir du scandale généré. Ce faisant, il prend le risque de perdre également ses admirateurs et de salir l’ensemble de son oeuvre. C’est dommage, car son talent est indéniable. Même si le propos de Mektoub my love : Intermezzo nous semble vain, il faut également reconnaître que la mise en scène, hypnotique, nous maintient captifs de bout en bout. Ce n’est pas donné à tout le monde…