A Cannes, les films font l’objet de débats passionnés, parfois plus que de raison. Chacun prend les armes (la plume, la voix, le trait d’esprit assassin ou l’argument massue) pour défendre son chouchou palmable ou canarder tel ou tel film aux pieds palmés. Pour résumer ces joutes parfois spectaculaires, les quotidiens ciné publiés durant le festival utilisent des tableaux de notation que chacun peut consulter pour se faire une idée des films préférés des festivaliers et faire ses pronostics pour le palmarès.
Combien d’étoiles pour ce film? Une seule? C’est une plaisanterie, c’est un chef d’oeuvre qui en vaut cinq! Et pour celui-ci, quatre? Scandaleux! Il est nul! Mon gant, Monsieur!
Bref, c’est un peu la guerre des étoiles tous les jours, car les films ne font jamais vraiment l’unanimité.
La preuve avec les films du jour…
Déjà, Under the Silver Lake, de David Robert Mitchell, qui commence comme une enquête criminelle classique pour aller vers d’autres sentiers de traverse, plus intimes, plus complexes. Evidemment, le film divise. Il y a ceux qui le trouvent “nul” parce qu’ils n’ont rien compris – les mêmes, sans doute, qui avaient sifflé le Mulholland drive de David Lynch en projection officielle… – et ceux qui, comme nous, se sont laissés séduire par cette oeuvre envoûtante, qui nous entraîne dans les mystères d’une Los Angeles fantasmée, hantée par les fantôme de l’âge d’or hollywoodien. (Lire notre critique).
Ensuite, En guerre (sans les étoiles), de Stéphane Brizé. Du cinéma social pur et dur, qui nous plonge dans le conflit opposant un groupe de salariés à leur direction, qui a décidé de délocaliser leur usine dans un pays où la main d’oeuvre est moins chère, sans se soucier de l’avenir des mille personnes concernées par le plan social. Pour le coup, on ne peut pas faire oeuvre plus compréhensible et plus rationnelle. Mais elle divise aussi. Les uns louent l’engagement du cinéaste et la portée politique de ce film, bien ancré dans le réel et les préoccupation du moment. Les autres le rejettent, arguant que le cinéma, ce n’est pas juste poser sa caméra au milieu d’une manifestation… Autant dire que les discussions d’après projection ressemblaient aux disputes opposant les leaders syndicaux aux cadres dirigeants, un vrai dialogue de sourds… (Lire notre critique)
Pourtant, il y a moyen d’aimer autant les pures fictions que le cinéma-vérité, les trips cinématographiques offrant de multiples niveaux de lecture ou les oeuvres à voir au premier degré, non-négociable…
Par exemple, The State against Mandela and the others, le documentaire de Nicolas Champeaux et Gille Porte, présenté en séance spéciale, et Un grand voyage vers la nuit, présenté à Un Certain Regard.
Comme Under the Silver Lake, le nouveau film du cinéaste chinois Bi Gan tourne lui aussi autour d’une quête intime et d’une histoire d’amour compliquée. On suit un homme qui retourne à Kaili, sa ville natale, après avoir dû la fuir pendant des années. Il essaie de retrouver la femme qu’il a aimé jadis, et qu’il n’a jamais pu oublier. Mais, encore plus que le film de David Robert Mitchell, ce long-métrage est difficile à appréhender. Il est conçu comme un voyage dans le temps et l’espace, dans les souvenirs ou les rêveries du personnage principal. La compréhension passe beaucoup plus par les sensations, les émotions ressenties que par la narration classique. Un peu comme le In the mood for love de Wong Kar-Wai ou, plus récemment, An Elephant sitting still de Hu Bo. Pour réussir cette gageure, Bi Gan compose des plans sublimes, d’une grande richesse, avant de nous embarquer carrément, dans son ultime partie, dans un long et élégant plan-séquence en 3D.
Cela dit, le film divise encore et toujours les spectateurs. Certains applaudissent la beauté formelle de l’oeuvre, la maîtrise de la mise en scène quand d’autres pestent contre ce “Grand voyage vers l’ennui”.
En ce cas, il faut qu’ils se tournent vers des films plus populaires, comme Solo : A Star Wars story. Plus besoin de se battre entre critiques, car pour le coup, la guerre des étoiles se retrouve à l’écran. Ou du moins, un vague ersatz, une version “super light”, car là, c’est nous qui ne sommes plus d’accord avec le grand public. Ce spin-off n’est rien d’autre qu’un blockbuster poussif, sans âme, qui n’arrive jamais vraiment à nous intéresser aux deux personnages charismatiques de la saga Star Wars, Han Solo et Chewbacca. (Lire notre critique). Et ceux qui ne sont pas d’accord peuvent nous retrouver sur le tapis rouge du Grand théâtre Lumière, on les affrontera au sabre laser, à l’ancienne. Ben quoi, les selfies sont interdits, d’accord, mais pas les duels de Jedis…
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.