Pour cette ultime journée de projections avant la clôture, les programmateurs du Festival de Cannes ne pouvaient que nous en mettre plein les yeux, nous livrer un bouquet final chatoyant, nous proposer des oeuvres qui nous émerveillent, nous font rêver, nous fassent aimer la vie, parce que le mot “festival” évoque quand même un peu la “fête”.
Aussi, nous avons découvert Ayka , une oeuvre légère, gaie, rafraichissante… Euh… Non, en fait…
C’est même tout l’inverse. Le film de Sergueï Dvortsevoy s’inscrit dans la lignée du cinéma social des frères Dardenne et plus encore dans celui, sombre et désespéré, de Brillante Mendoza. On y suit le parcours d’une femme kirghize qui est obligée d’abandonner son bébé, de travailler comme une damnée pour trois roubles, de chercher vainement d’autres jobs pour se nourrir et payer ses dettes, de fuir la police et les gangsters qui la traquent, dans les bas-fonds de Moscou, sous la neige. Le tout filmé caméra à l’épaule, en gros plan. Certes, le septième art a pour mission d’ouvrir les regards et d’éveiller les consciences, et ce film la remplit parfaitement. On sait, désormais, que la Russie n’est pas le pays le plus accueillant du monde, que le destin des minorités Kirghize n’est pas plus enviable que celui d’autres migrants, partout sur la planète, et que les femmes comme Ayka afficheraient elles aussi un #metoo si elles avaient le temps de se connecter à Twitter. Merci beaucoup.
Mais en fin de festival, après avoir fait connaissance de lépreux, de mendiants, de gamins des bidonvilles, de peuples en guerre – qu’elle soit froide ou d’une actualité brûlante –, de miséreux des villes et de miséreux des champs, de chômeurs en berne et de travailleurs en lutte, ça fait peut-être un peu beaucoup de monde dans la même galère…
On l’aime bien quand même, cette Ayka, mais on aurait aimé voir d’autres propositions de cinéma que l’étalage de toute la misère du monde à l’écran. (Lire notre critique).
Heureusement, il restait un ultime film en compétition, Le Poirier sauvage, un film savoureux, sucré, plein de douceur… Euh… Non, en fait.
Bon, rien de surprenant, en fait. On ne s’attendait pas à ce que Nuri Bilge Ceylan, Palme d’Or à Cannes en 2014 pour Winter sleep, nous livre une comédie rythmée et respirant la joie de vivre. Le Poirier sauvage est une oeuvre imposante tant par sa durée (plus de 3h), que par les thématiques abordées (la difficulté de trouver sa place dans le monde, le rapport aux autres, les tourments de l’existence…).
Comme toujours, la mise en scène du cinéaste turc impressionne. Il parvient parfaitement à capter l’ambiance d’un lieu et la psychologie de ses habitants, à l’aide de plans savamment cadrés et de mouvements de caméra virtuoses. Seul petit problème, qui transparaissait déjà dans Winter sleep, son cinéma est devenu particulièrement bavard, au-delà du raisonnable. Au bout d’un moment, voir des personnages, au demeurant pas très sympathiques, échanger sur l’art, l’écriture, la religion et les choses de la vie, ça lasse un peu. Surtout quand on sait que le cinéaste excelle dans l’art de tout dire dans les silences, à l’aide du seul langage cinématographique.
Si Nuri Bilge Ceylan a mûri en tant qu’homme et cinéaste, on peut préférer certaines de ses oeuvres passées, comme Uzak, Les Trois singes ou Il était une fois en Anatolie, plutôt que ce Poirier sauvage trop verbeux et trop long. Il aurait fallu couper quelques branches…
Toujours est-il que la compétition officielle est désormais terminée. Le Jury de Cate Blanchett va pouvoir délibérer et choisir les films qui, parmi cette sélection de bonne tenue à défaut d’être très festive, mérite d’être primée. Verdict dans quelques heures maintenant…
Les sections parallèles ont déjà décerné leurs trophées. A la Quinzaine des Réalisateurs, Climax de Gaspar Noé, En liberté de Pierre Salvadori et Troppa grazia de Gianni Zanasi glanent chacun un des prix décernés.
A Un Certain Regard, c’est l’étrange Border d’Ali Abbasi qui remporte le Grand Prix. Le Jury de Benicio Del Toro a également récompensé Les morts et les autres de Joao Salaviza et Renée Nader Messora, le scénario de Meryem Benm’Barek pour Sofia, la mise en scène de Sergueï Loznitsa pour Donbass et Victor Polster pour sa performance dans Girl.
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.