Laura (Penelope Cruz), qui vit en Argentine avec son conjoint (Ricardo Darin) et leurs deux enfants, est de retour dans son village natal, en Castille, à l’occasion du mariage de sa soeur cadette. Sous un soleil éclatant, les retrouvailles familiales sont chaleureuses. Tout le monde s’étreint, s’embrasse, heureux de se revoir après plusieurs années de séparation. Pendant que sa fille aînée, Irene, sympathise avec un garçon du voisinage, Laura retrouve aussi avec bonheur son propre ami d’enfance, Paco (Javier Bardem), qui gère désormais un des domaines viticoles locaux avec son épouse Béa (Barbara Lennie). Toutes les conditions sont réunies pour que le séjour soit idyllique.
Mais, comme le préfigure la première scène, qui détaille les rouages de la vieille horloge de l’église du village, un engrenage implacable et destructeur est à l’oeuvre, prêt à happer les personnages. Un engrenage qui va faire resurgir le passé de Laura et Paco, ainsi que de vieux secrets de famille.
Le drame se noue alors que la fête bat son plein. Irene disparaît soudainement et Laura reçoit une demande de rançon de ses ravisseurs. Ceux ci exigent une forte somme d’argent pour la relâcher vivante. Le kidnapping a visiblement été prémédité par une personne ayant assisté à la noce, peut-être même par un proche de la victime, mais il est difficile de déterminer qui aurait pu commettre cet acte crapuleux. Alors que l’inquiétude de Laura s’accroît, les tensions se font de plus en plus vives entre les différents personnages. Tout le monde soupçonne tout le monde et les vieilles rancoeurs remontent à la surface…
C’est là, dans ces rapports humains tumultueux, que se situe tout l’intérêt du nouveau film d’Asghar Farhadi, et notamment dans la relation qui relie Paco à la famille de Laura.
Le cinéaste décrit le fossé qui sépare une bourgeoisie rurale sur le déclin, exsangue financièrement, et les gens modestes qui vivent autour, essayant de profiter du fruit de leur labeur, comme Paco et Béa. Il montre toute la violence, tout le mépris de cette ancienne classe dominante envers ceux qui étaient autrefois leurs serviteurs. En filigrane, le film esquisse la collusion entre cette élite bourgeoise privilégiée et le régime dictatorial de Franco. On peut y lire indirectement, nationalité du cinéaste oblige, une critique des liens entre certains notables iraniens et le pouvoir religieux en place, qui reposent sur les mêmes mécanismes.
Le problème, c’est que ces thématiques se retrouvent diluées dans un ensemble beaucoup moins passionnant, le cinéaste s’étant encombré d’une trame narrative assez indigeste, entremêlant maladroitement thriller et mélodrame.
Côté mélo, les effets sont beaucoup trop appuyés pour susciter l’émotion. On a l’impression qu’en troquant ses acteurs iraniens contre des vedettes latines promptes à cabotiner devant sa caméra, Asghar Farhadi a un peu perdu au change. Son cinéma, habituellement sobre, pudique et délicat, se fait ici plus emphatique, plus lourd, nettement moins subtil.
Côté thriller, ce n’est guère mieux. Le cinéaste a beau invoquer l’esprit d’Alfred Hitchcock en filmant ce clocher qui rappelle l’un des lieux-clés de Sueurs froides, il ne parvient pas totalement à maintenir la tension durant l’intégralité de son long-métrage. La faute à un récit dont on comprend rapidement les tenants et les aboutissants et dont on devine le dénouement au bout de vingt minutes. Pour un film qui dure plus de deux heures, c’est ennuyeux…
On ne peut pas dire que Everybody knows, mis en scène avec élégance et reposant sur un casting solide, est un mauvais film. C’est juste une oeuvre décevante de la part d’un cinéaste que l’on a connu plus fin, plus subtil.
Ici, Farhadi n’arrive jamais totalement à sortir du carcan imposé par son intrigue, ni à maîtriser des comédiens qui, désormais formatés par le cinéma hollywoodien, ont tendance à surjouer les scènes les plus mélodramatiques. On attendait mieux du film d’ouverture du 71ème Festival de Cannes.