Bon, il y a qui sur les marches, aujourd’hui ? Nicole Kidman, Colin Farrell,… euh, attendez quel jour est-on ? Mise à mort du cerf sacré a été projeté avant-hier normalement. Il est vrai qu’à Cannes, les festivaliers perdent toute notion du temps, mais quand même… Des extra-terrestres auraient-ils inversé la rotation de la Terre au point de détraquer les horloges ? Les esprits malveillants de Twin Peaks seraient-ils déjà à l’œuvre avant leur montée des marches de demain?
Non, C’est juste le hasard des castings. Kidman et Farrell sont à nouveau réunis dans The Beguiled, le nouveau long-métrage de Sofia Coppola. Certains diraient qu’il s’agit d’un remake des Proies, réalisé en 1971 par Don Siegel. C’est effectivement la même intrigue : l’irruption, en plein pendant la guerre de Sécession, d’un soldat nordiste, blessé au combat, dans un pensionnat de jeunes filles sudistes, éveille désirs et jalousies et devient source de tensions. Mais Sofia Coppola, par ses choix esthétiques et sa mise en scène, en fait quelque chose de plus personnel. L’ambiance visuelle, à la lisière du fantastique, évoque un peu celle de The Virgin suicides et le sujet, autour des désirs refoulés, des frustrations et de l’ennui d’un groupe de jeunes femmes, s’inscrit parfaitement dans la filmographie de la cinéaste.
De ce qu’il nous en reste, le film de Don Siegel était un film plus dur, plus viril et développait d’autres éléments narratifs. Il était également centré sur le personnage masculin, incarné par Clint Eastwood. Ici, le point de vue est clairement celui des femmes, et l’intrigue est resserrée uniquement sur le coeur du récit, l’inversion des rapports de forces entre l’homme et les femmes, et les perturbations qu’occasionne cet intrus dans la hiérarchie de ce groupe. On peut préférer le côté âpre et sauvage de la version de Don Siegel, mais l’approche de Sofia Coppola, plus en finesse et développant un sujet plus complexe qu’il n’y paraît n’en demeure pas moins appréciable.
Bizarrement, on trouve moins de monde pour affirmer que le Rodin de Jacques Doillon est le remake du Camille Claudel de Bruno Nuytten. Et pourtant, il traite aussi de la passion amoureuse du sculpteur et de sa disciple la plus douée, de leurs relations tumultueuses, de leur collaboration fructueuse et de la frustration, pour la jeune femme, de vivre, professionnellement, dans l’ombre de son mentor et, sentimentalement, dans l’illégitimité, maîtresse plutôt qu’épouse. Mais évidemment, les deux films n’ont rien à voir. Déjà parce qu’ici, la romance est abordée depuis le point de vue de Rodin, et ensuite parce que le film de Jacques Doillon se concentre surtout sur le travail du sculpteur, son investissement total dans la création artistique.
Rodin ne délaissait pas Camille Claudel par machisme ou par égoïsme, si ce n’est l’égoïsme de l’artiste habité par son oeuvre. Il se refusait à rentrer dans toute forme de routine conjugale, préférant avoir des muses stimulant sa créativité. Il ne voulait pas s’occuper des enfants que fatalement, les femmes de sa vie exigeaient de lui. Ses enfants à lui, c’étaient ses sculptures, à l’instar de cette statue sur pied de Balzac que l’artiste a mis des années à peaufiner et qui a été moquée, raillée, mal aimée des critiques et des intellectuels de l’époque.
Le sculpteur était un bourreau de travail, un perfectionniste. Il ne se voyait pas comme un génie mais comme un homme humble et travailleur, un ouvrier ayant étudié tout au long de sa carrière et ayant progressé en travaillant sans relâche, apprivoisant le matériau, trouvant les gestes justes pour figer le mouvement, magnifier la lumière…
Si certains trouveront sans doute le film de Jaques Doillon un peu austère, lent et ennuyeux, d’autres trouveront au contraire assez fascinant de voir comment l’artiste façonne la glaise, trouvant les bonnes proportions, les bonnes postures et tout ce qui permet de restituer la beauté du sujet.
Acteur exigeant, habité par ses rôles, Vincent Lindon incarne parfaitement ce sculpteur obsédé par le travail et sûr de ses choix, ne faisant aucune concession aux critiques.
Autre métier, autres problèmes… Dans El Presidente de Santiago Mitre, Ricardo Darin incarne Hernan Blanco, le Président de la République Argentine, à la veille d’un important sommet réunissant les pays d’Amérique du Sud. Les enjeux sont énormes, entre un jeune président brésilien essayant de prendre le leadership de la zone géographique et un président mexicain roulant ouvertement pour le Etats-Unis d’Amérique, une répartition incertaine de l’exploitation des ressources pétrolières du continent, les alliances économiques et sociales qui pourraient permettre aux pays de progresser, etc.
C’est le moment que choisit son gendre pour faire un coup d’éclat, menaçant de l’impliquer dans une affaire de corruption et de finances occultes. Et la situation réveille les vieux démos de sa fille, complètement paumée et perturbée mentalement. Aïe… Cela risque de nuire à l’image d’homme intègre qui colle à son patronyme, Blanco, “plus blanc que blanc”. En coulisses, ses conseillers s’activent pour gérer la crise, mais il doit aussi mener son embarcation en solitaire et prendre des décisions délicates, tant sur le plan personnel que pour le destin du pays.
Baigné dans une atmosphère mystérieuse, anxiogène et source de paranoïa, le film montre bien les arcanes du pouvoir et dépeint la solitude de l’homme politique coupé du monde, mais devant prendre les bonnes décisions pour son peuple. Il suggère aussi qu’à un niveau élevé de pouvoir, les hommes sont forcément confrontés à des tentatives de corruption, de chantage ou de pressions amicales, ainsi qu’à des stratégies politiques de grande ampleur, dans lesquelles ils sont obligés de se compromettre.
Dans le rôle-titre, Ricardo Darin est impeccable, comme toujours, et il est soutenu par un casting latino trois étoiles, très pro – Paulina Garcia, Elena Anaya, Erica Rivas, Daniel Gimenez Cacho… On vote pour eux! Et on vote Blanco!
Sinon, pour ceux qui préfèrent obtenir le pouvoir par la force, il y a toujours possibilité de devenir gangster, comme dans The Merciless, du sud-coréen Byun Sung-hyun, qui était présenté en séance de minuit, mais cela suppose de passer maître en alliances, trahisons et coups fourrés. Cela dit, vu que tout cela a déjà été montre mille fois ailleurs, dans le cinéma chinois, hongkongais, japonais,…, il est possible de se dispenser de la leçon.
En parlant de leçon, le cinéaste mexicain Alfonso Cuaron a donné la sienne en salle Bunuel, dans le cadre de Cannes Classics. Cela a donné aux festivaliers l’occasion de revisiter l’oeuvre du réalisateur de Gravity et Les Fils de l’homme, qui n’avait jusque-là que très peu fréquenté le Festival de Cannes, d’obtenir de savoureuses anecdotes de tournage et d’écouter le cinéaste parler de son métier avec une passion communicative.
Bref, le travail, c’est la santé! Même quand on est mort, d’ailleurs… La preuve, dans Zombillénium, le film d’animation d’Arthur des Pins, d’après sa série de bandes-dessinées, les employés du parc d’attraction éponyme sont… des morts-vivants. En même temps, pour terrifier les vivants, on n’a pas fait mieux… Alors nous avons préféré renoncer, de peur de finir dans leurs gamelles. Etre pro, d’accord, être une proie, non… Les enfants, eux, n’ont pas eu peur. Pour cette séance qui leur était réservée par le Festival de Cannes, ils ont pu croiser leurs monstres préférés et les regarder monter les marches.
Si on ne sert pas de casse-croûte à des loups-garous ou des zombies affamés, si on n’est pas victimes d’un complot politique, le cadavre escamoté dans une statue de plâtre, à demain pour la suite de nos chroniques cannoises.