Alors qu’on arrive à mi-festival, on peut le dire officiellement : on tient la Palme!
Bon, calmons-nous, il ne s’agit que de la Palme Dog. Ce trophée qui, rappelons-le, récompense la meilleure performance canine cannoise, ne devrait pas échapper à Nelie, qui joue dans Paterson de Jim Jarmusch. Ce bouledogue anglais incarne Marvin, un toutou très expressif et un brin teigneux, bien décidé à pourrir la vie de son maître, Paterson (Adam Driver) et garder pour lui sa maîtresse, Laura(Golshifteh Farahani). Il grogne dès que le couple se fait des mamours, réclame à sortir à tout bout de champ et s’ingénie à aller toujours à l’opposé de la direction prise par ses propriétaires. Et il n’est peut-être pas innocent dans la mystérieuse affaire de la boîte aux lettres, que Paterson retrouve chaque soir curieusement penchée vers l’allée… Ce cabot est vraiment incroyable. C’est un acteur du film à part entière qui a autant, sinon plus, séduit l’assistance que le duo Adam Driver/Golshifteh Farahani. Si ça ne tenait qu’à nous, on lui remettrait la Palme Dog, l’Os-car et une boîte de César.
Blague à part, on tient peut-être la Palme d’Or avec Paterson. Déjà parce que le nouveau film de Jim Jarmusch est une oeuvre qui fait du bien. C’est un film zen, reposant et relaxant, sans intrigue tordue, sans enjeux dramatiques, sans violence – hormis l’agressivité du fameux Marvin. Le cinéaste américain l’a conçu comme “un antidote à la noirceur et à la lourdeur des films dramatiques et du cinéma d’action”.
Il nous invite à partager sept jours de la routine d’un couple vivant à Paterson, New Jersey, la ville qui a servi de berceau aux plus grands poètes américains, d’Allan Ginsberg à William Carlos Williams. Le personnage principal, Paterson est chauffeur de bus et poète à ses heures perdues. Son épouse est femme au foyer, mais n’est jamais à court d’idées pour s’occuper. Autour d’eux gravitent des personnages sans histoires, hormis le collègue de Paterson, à qui arrivent toujours les pires calamités, et un jeune homme amoureux qui se voit repoussé par l’objet de son affection.
Paterson, c’est le charme de la routine quotidienne, c’est la poésie des choses simples, c’est la beauté de la vie en général. C’est une oeuvre qui prend son temps, musarde, nous enveloppe de son optimisme, sa joie de vivre.
Mais derrière cette comédie légère, toute “simple”, on peut trouver beaucoup de niveaux de lectures possibles.
Déjà une réflexion sur la création – littéraire, artistique, divine…
Puis une variation sur les affres de la vie de couple, l’usure du quotidien et les moyens de retrouver une harmonie de couple – en ayant des enfants, par exemple, comme le suggère Laura.
Et enfin un portrait décapant de l’Amérique moderne, celle d’après le 11 septembre 2001, la crise financière, l’explosion de Fukushima, et la crise des migrants, dans laquelle il n’y a plus vraiment place au rêve et à la poésie.
C’est fin, intelligent, beau et apaisant. Que demander de plus?
Si Jim Jarmusch semble nostalgique du passé, ce n’est pas le cas de Jeff Nichols. Loving nous plonge dans la Virginie des années 1950, avant la lutte pour les droits civiques des Noirs Américains. Richard Loving (Joel Edgerton) et Mildred (Ruth Negga) sont amoureux l’un de l’autre et envisagent de se marier et de fonder une famille. Le problème, c’est qu’il est Blanc et qu’elle est Noire. Dans cet état ségrégationniste, les relations interraciales sont interdites par la loi. Le couple est arrêté et condamné à une peine de prison. Le juge accepte toutefois de suspendre la peine à condition que Richard et Mildred quittent définitivement l’état de Virginie, où ils ont leurs familles et amis. Mildred étant enceinte, ils acceptent le deal. Mais quelques années plus tard, avec l’éclosion des mouvements pour les droits civiques, un avocat leur conseille de porter l’affaire devant la Cour Suprême. Au-delà du droit du couple à revenir s’installer légalement sur leur terre natale, l’enjeu est le doit fondamental d’un citoyen américain à épouser la personne de son choix, sans distinction de race ou d’origine.
Au bout de dix ans de procès et de ramdam médiatique, la Cour Suprême cassera la décision de la Virginie et rendra anticonstitutionnelle toute loi interdisant les unions interraciales.
Aujourd’hui encore, le combat de ce couple pour son droit à fondamental à l’amour et au bonheur reste un exemple à suivre, d’autant qu’en ces temps troublés, les idées xénophobes et conservatrices connaissent un regain de vigueur.
En cela, Loving est une oeuvre utile, essentielle. Certains lui reprocheront cependant sa forme, très classique, et regretteront que le cinéaste évolue vers ce cinéma très sage, très épuré, plutôt que de creuser le sillon âpre et étrange de ses premiers films, Shotgun stories et Take shelter. Difficile de retrouver clairement sa signature sur ce long-métrage. Bien sûr, il y a quand même une façon singulière s’utiliser les gras plans, d’aller traquer les émotions sur les visages des personnages et de filmer les paysages du sud des Etats-Unis. Et il est est probable qu’à sa place, un tâcheron hollywoodien se serait sûrement vautré dans le pathos et aurait appuyé la plupart des scènes. La force du film de Jeff Nichols, c’est justement sa sobriété, son approche du sujet selon un angle intimiste plutôt que d’en faire un film de procès et de batailles juridiques, de haine et de fureur. Ici, c’est l’amour, l’espoir et la tolérance qui sont célébrés, et cette volonté de laisser hors champ la folie des hommes, le racisme et la bêtise le rapproche un peu de la démarche de Paterson.
A Un Certain Regard, les festivaliers ont pu découvrir Apprentice, du singapourien Boo Junfeng. Le film suit Aiman, un jeune homme engagé pour être gardien dans une prison de haute sécurité. Lors de son entretien d’embauche il affirme vouloir aider ceux qui le souhaitent à se racheter de leurs fautes et se réinsérer. On lui précise que le job peut aussi impliquer des choses moins agréable puisque l’établissement héberge aussi une aile dédiée aux exécutions capitales, et des gardiens peuvent être amenés à évoluer vers le rôle de bourreau.
Très vite, Aiman fait tout pour être incorporé dans ce service, et notamment avec Rahim, un gardien-chef expérimenté qui officie comme bourreau depuis des années. On se demande quelles peuvent bien être les motivations du personnage principal. Une fascination morbide? Une envie de tester ses limites? Ou bien une motivation plus trouble?
Le scénario repose pendant un bon moment sur cette incertitude, avant de basculer dans un face-à-face psychologique un peu plus convenu entre les deux hommes, et une réflexion sur la culpabilité et le pardon.
Sans être un grand film, Apprentice est une oeuvre solide, portée par une mise en scène épurée, qui joue sur l’idée d’enfermement psychologique et physique des personnages, et le jeu des deux comédiens principaux, Firdaus Rahman et Wan Hanafi Su.
Dans cette même section, David MacKenzie a enchanté les festivaliers avec Hell or Highwater, un film noir qui suit la cavale criminelle de deux frères braqueurs de banques (Chris Pine et Ben Foster) et leur traque par un duo de flics tenaces. Du classique, en apparence. Mais ici, le schéma se teint de quelques nouveautés réjouissantes. Déjà, les braqueurs ne correspondent pas vraiment à l’image de criminels brutaux et cupides. Ils ne sont pas très doués, ni très organisés. Si le premier sort de prison un peu fêlé, le second, semble au contraire avoir la tête sur les épaules. Son plan est plutôt malin. Il a ciblé des petites agences, situées dans des coins paumés du Texas. Leurs caméras de surveillance ne fonctionnent pas et leur clientèle est rare, ce qui permet d’opérer rapidement et sans être trop gênés par des clients armés jusqu’aux dents, voire aux dentiers. Enfin, ils se content de petites coupures, délaissant les liasses piégées ou les séries numérotées. Le but n’est pas de s’enrichir et de claquer tout l’argent, mais d’utiliser le magot pour rembourser l’hypothèque de la maison familiale… auprès de la banque qu’ils ont pillée! Ils veulent juste laisser un petit capital à leurs proches, qui ne pourrait leur être soustrait quand ils auront été arrêtés par les flics.
Les policiers qui les traquent sont tout aussi atypiques. Marcus (Jeff Bridges) est un vieux flic nonchalant, proche de la retraite. Il profite de ses derniers jours de service pour taquiner son collège, se moquant notamment de ses origines indiennes et mexicaines. Le duo a une drôle de façon de mener l’enquête, privilégiant l’intuition et la patience à la course-poursuite.
Il en découle un film au ton atypique, plein d’humour décalé, de répliques assassines et de situations cocasses, plein d’humanisme et de tendresse, tout en conservant son ADN de film noir, tragique et crépusculaire.
A la Quinzaine des Réalisateurs, le nouveau film d’Anurag Khasyap a déçu. Construit autour de la traque d’un tueur en série par un flic tourmenté, Raghav Raman 2.0 ne se hisse jamais au niveau des oeuvres précédentes du cinéaste indien (Gangs of Wasseypur, Ugly). Les scènes violentes semblent ici purement gratuites. La structure narrative, inutilement alambiquée, dessert le film. Et les acteurs semblent en faire des tonnes, nuisant à l’intéressant face-à-face entre les deux hommes, pas si différents l’un de l’autre. On attendait bien mieux de la part de ce cinéaste, qui avait su emballer la Croisette lors de ses précédents passages…
Nous avons aussi vu Mean dreams, du canadien Nathan Morlando. Il s’agit d’un thriller (eh oui, encore!) dans lequel un flic violent et corrompu (Bill Paxton) part à la poursuite de son jeune voisin (Josh Wiggins), qui lui a volé un sac rempli de dollars, mais aussi dérobé le coeur de sa fille chérie (Sophie Nélisse). Le début du film est plutôt habile, faisant lentement monter la tension autour du personnage du père, d’abord affable, puis de plus en plus odieux et violent. Mais très vite, le rythme s’essouffle, le film emprunte des sentiers un peu trop balisés. On ne s’ennuie pas vraiment, mais les promesses du titre ne sont pas tenues. Dommage…
A la Semaine de la Critique, les festivaliers ont pu découvrir deux road-movies, l’un spirituel, avec Mimosas d’Oliver Laxe, qui nous emmène dans le Haut Atlas marocain, l’autre décalé, avec Apnée de Jean-Christophe Meurisse, équipée sauvage de trois zozos sur les routes de France.
Si on ne part pas en cavale traqués par un flic psychopathe ou un chien enragé, à demain pour la suite de ces chroniques cannoises…