Tale of tales Alors que Gomorra aurait pu laisser penser que Matteo Garrone était adepte d’un style naturaliste, profondément ancré dans le réel, son second film, Reality, démontrait le goût du cinéaste italien pour un onirisme “fellinien”. Avec Tale of tales, adaptation de ce qui est connu pour être l’un des plus anciens recueil de contes (1), il assume totalement ce penchant et livre un film purement fantastique, dans lequel sont entrelacés trois récits. Trois contes cruels ayant pour point commun d’avoir pour cadre un univers médiéval-fantastique et pour thématiques principales le désir, l’obsession et le refus de lâcher prise.

Le premier segment raconte l’histoire d’un couple de souverains (Salma Hayek et John C. Reilly)  se désespérant d’avoir un descendant. Un curieux mage leur propose un rituel lui garantissant à coup sûr à la reine d’enfanter. Pour cela, le roi doit tuer un monstre marin et ramener son coeur. L’organe sera cuisiné par une jeune servante vierge avant d’être intégralement dévoré par la reine, qui tombera enceinte immédiatement après. Mais, prévient le mage, la réussite du sort implique des sacrifices…

Le second segment tourne autour d’un vieux roi (Toby Jones) vivant seul avec sa fille (Bebe Cave), la prunelle de ses yeux. Autant dire que, lorsqu’elle éprouve le désir de se marier et de quitter le nid familial, il ne montre pas très actif pour lui trouver un prétendant. Mais un jour, il découvre quelque chose qu’il apprécie encore plus que sa fille adorée : une puce savante assez… particulière.

Le dernier segment met en scène deux blanchisseuses (Shirley Henderson et Hayley Carmichael) et un roi libertin (Vincent Cassel). Un jour, le suzerain entend la suave mélopée que chante une des blanchisseuses et tombe amoureux de cette voix cristalline. Il cherche évidemment à en savoir plus sur la propriétaire d’une voix aussi envoûtante, s’imaginant évidemment une belle et douce créature. Mais comme chacun le sait, les apparences sont trompeuses. La blanchisseuse et sa soeur sont deux vieilles femmes à la peau ridée et fripée, abîmée par des années de dur labeur. Plutôt que d’avouer la vérité au roi, elles décident d’essayer de le duper…

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On peut tout à fait comprendre ce qui a poussé Matteo Garrone à porter à l’écran ces contes pour adultes. Cela lui permet de développer certains des thèmes qui étaient déjà au coeur de Reality : Quels sacrifices un homme est-il prêt à consentir pour satisfaire ses obsessions? Comment trouver la félicité dans un monde fait de faux-semblants et de duperie? Comment préserver son image des ravages du temps? Comment passer à la postérité?
Surtout, cela lui donne l’opportunité de réaliser son propre Decameron, ses propres  Contes de Canterbury, et rendre ainsi hommage à l’un de ses maîtres, Pier Paolo Pasolini. Au passage, il rend aussi hommage à Fellini, à travers son plan-séquence inaugural, où la caméra observe les préparatifs du groupe de saltimbanque qui doivent se produire devant le roi, et, sans doute, à toute une génération de réalisateurs de séries B italiennes, qui, à l’instar de Riccardo Fredda dans son Maciste en enfer, savaient créer des univers fantastiques crédibles avec des décors en carton-pâte et des accessoires miteux.

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Le problème, c’est que ces influences sont trop nombreuses et un peu trop envahissantes. Le cinéaste ne réussit jamais à les digérer totalement et ne parvient pas à leur substituer son propre style. La multiplication des hommages et des références donne l’impression d’un film hétérogène et brouillon, assez indigeste.
Le choix d’entrelacer les trois récits plutôt que de les raconter les unes à la suite de l’autre n’arrange rien. Il ajoute à ce sentiment de confusion.
En procédant ainsi, le cinéaste a probablement cherché à rendre sa narration plus haletante. Mais il y perd aussi énormément en fluidité. Sa structure semble bancale. Elle ne respecte pas l’équilibre entre les trois récits et entre les différents personnages.

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Matteo Garrone aurait sans doute gagné à privilégier le format d’un film à sketches. Cela aurait donné davantage d’assise à sa narration et lui aurait permis d’appliquer trois styles esthétiques différents à ses trois segments, correspondant à autant d’hommages à ses auteurs de chevet.
Son Tale of tales est loin d’être mauvais. Il est porté par des numéros d’acteurs plutôt solides et comporte plusieurs scènes particulièrement marquantes, qui confirment sans peine que le cinéaste italien est particulièrement à l’aise dans ce registre fantastique et onirique. Cependant, il souffre de trop nombreux défauts pour nous convaincre pleinement. Dommage…

(1) : “Le Conte des contes” de Giambattista Basile est un recueil de contes populaires écrit en langue napolitaine au début du XVIIème siècle. Il a inspiré Charles Perrault, puis les frères Grimm pour leurs célèbres contes.

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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