Le Festival de Cannes étant une manifestation internationale et surmédiatisée, il est évident que tous les moyens sont mis en oeuvre pour assurer la sécurité au Palais des festivals.CRS, policiers et policiers municipaux postés en embuscade dans les environs, rues bloquées au moment de la montée des marches… Et dans le “bunker” – le surnom du palais – il faut franchir plusieurs barrages avec contrôle de tickets, fouilles de sacs, et détection d’objets métalliques. Et les vigiles ne sont pas commodes…
Mais parfois, certains font du zèle, à la limite du ridicule…
Le premier soir, par exemple, certains se sont fait refouler à cause de leur tenue vestimentaire. Bon d’accord, quand les spectateurs arrivent en bermuda et torse nu plutôt qu’en tenue de soirée, il faut sévir. Mais quand un vieux monsieur se présente, en costume très élégant, avec une cravate au lieu d’un noeud papillon, on pourrait peut-être le laisser entrer, non? Surtout quand il a patiemment attendu pendant trois quarts d’heures avant d’entrer en salle. Quoi!?! Une cravate serait plus dangereuse pour la sécurité qu’un noeud papillon? Remarquez, oui, la cravate, c’est le nom d’une technique de combat, ou c’est l’arme du crime dans le Frenzy d’Hitchcock alors que le noeud papillon, ça fait un peu rigoler…
Hier, c’était les ordinateurs portables qui étaient persona non grata au palais. C’est nouveau, ça… Jusqu’à présent, seuls les appareils photos et les caméscopes étaient interdits, mais maintenant, c’est le même tarif pour tous les appareils. Hop! Les netbooks, au vestiaire!
Mouais… Et comment je fais, moi, après, pour taper ces chroniques, hein? Et pourquoi on interdit les ordinateurs, d’abord? A part commettre un attentat au bon goût en aimant un gros nanar ou dire du mal d’un film présenté comme l’un des favoris, je ne vois pas en quoi je représenterais une potentielle menace terroriste pour le festival.
La justification officielle? Certains les utilisent pendant les films et ça gêne les spectateurs. Euh… Si ça arrive, ça doit être rarissime… En revanche, l’utilisation des smartphones n’est pas rare et peut effectivement gêner… Mais si on commence à les confisquer tous, il faut agrandir les vestiaires…
Et aujourd’hui, on s’en foutait royalement des ordis portables. La cible à abattre, c’étaient les bouteilles d’eau… Définitivement confisquées à l’entrée de la salle… Prohibées, bannies, chassées. A mort les bouteilles d’eau de source! Dehors, les eaux gazeuses!
La raison de ce remue-ménage serait-elle liée à la projection du film Habemus Papam, de Nanni Moretti ? Les organisateurs ont-ils craint les attaques aquatiques de fanatiques religieux qui se sentiraient offensés par le traitement de cette histoire de nomination d’un pape dépressif et ne se sentant pas à la hauteur de sa tâche?
Dans ce cas, ils ont eu tort. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, le film de Nanni Moretti n’est pas bêtement anticlérical. Certes, il s’amuse des rites religieux et de tout le cérémonial autour de la nomination du Souverain Pontif – un joli moment de comédie italienne façon Comencini – et il montre un Pape en plein doute – un sujet tabou!, mais il ne livre pas une critique féroce de la religion et de ses représentants. Non, il montre un Pape humain, avec ses blessures, ses regrets, ses questionnements, son envie de liberté, qui s’ouvre au monde qui l’entoure et se sent soudain trop petit. Et le personnage du psychiatre censé le guérir de sa dépression, résolument athée, se fait peu à peu à la vie au Vatican, faisant lui aussi évoluer sa position au contact des évêques…
Non, définitivement Habemus Papam n’est pas un film sur la religion, ni même une allégorie du pouvoir berlusconien. C’est une réflexion sur la foi en général – et pas seulement la foi religieuse – sur la responsabilité du pouvoir, sur la différence entre personnalité publique et privée, sur la communication entre les élites et le “petit peuple”, sur les choses qui font que la vie vaut d’être vécue. C’est un drôle de film où des évêques se lancent dans un tournoi de volley-ball dans la cour du Vatican, où un Pape récite du Tchékhov et où les journalistes ont du mal à distinguer une fumée noire d’une fumée blanche… Une fantaisie comme seul Nanni Moretti se les autorise, avec quelques beaux moments d’humour ou de gravité. On ne s’attendait pas vraiment à un film aussi “sage”, mais c’est néanmoins une jolie réussite…
Les avocats du Vatican peuvent lever l’alerte rouge. Le film ne chahute pas leur chef d’état… Et les vigiles pirates peuvent eux aussi lever l’embargo sur les eaux…
Mais que faire de toutes les bouteilles récoltées? On va sûrement pouvoir transformer l’orchestre de l’auditorium Lumière en piscine pour que Nanni Moretti se remette au water-polo, comme aux grandes heures de son Palombella Rossa… Mais ça risque d’être un sacré bazar ! Ah! Mais que fait la police ?
La police, on ne sait pas trop… Ils font sûrement un brin de bronzette sur la Croisette. En revanche, la Polisse était bien fidèle au poste, pour le plus grand bonheur des festivaliers. Pour son nouveau long-métrage, Maïwenn a choisi de s’immerger dans le quotidien d’une BPM (Brigade de Protection des Mineurs), un service de police spécialisé dans les affaires de moeurs impliquant des mineurs : pédophilie, inceste, enfance maltraitée, comportements irresponsables d’adolescents livrés à eux-mêmes…
Suite à un stage de longue durée effectué auprès de ces flics purs et durs, elle a puisé dans des faits réels pour concocter, avec l’aide d’Emmanuelle Bercot, un gros film choral sur le travail des policiers, leurs succès, leurs échecs, leurs frustrations, l’impact de ce métier dévorant en temps, en énergie, en innocence, sur leurs vies privées… Un peu la même démarche que celle accomplie par Claire Simon avec le planning familial dans Les Bureaux de Dieu…
On sait que le film-choral est un exercice sacrément casse-gueule. Il suffit que l’une des histoire développées soit un peu plus faible, qu’un personnage soit moins bien loti qu’un autre pour que tout l’édifice s’écroule. Ce n’est pas le cas ici…
D’emblée, on s’attache à ces personnages, tous différents, tous plus complexes qu’ils ne le paraissent. On passe d’un personnage à l’autre avec beaucoup d’aisance, de fluidité. La mise en scène dynamique de Maïwenn et les dialogues, percutants, aident beaucoup à donner du mouvement, de l’ampleur au récit.
Quand on a l’impression qu’un protagoniste est un peu délaissé par rapport aux autres, vlan!, il a droit à une scène magistrale où il est mis en valeur. On ne compte pas les morceaux de bravoure qui émaillent le film : les coups de gueule homériques, les scènes de beuveries, les moments d’émotion, les fous rires devant l’absurdité des situations. Ah! cette mère de famille qui affirme que si son petit garçon de deux ans pleure tout le temps, c’est parce qu’elle a “arrêté de le branler le soir pour l’endormir” ou cette ado qui a effectué sans broncher des fellations à de jeunes voyous pour récupérer son téléphone, comme si c’était normal – “oui mais c’était un beau téléphone quand même..". Edifiant, mais bien réel…
Si le film est aussi réussi, c’est avant tout grâce à ce côté authentique et orienté vers l’humain, aussi bien du côté des flics que des victimes ou des bourreaux.
C’est aussi grâce à cette extraordinaire troupe d’acteurs que Maïwenn a réunie autour d’elle. Jugez plutôt ! : Karin Viard, Marina Foïs, Karole Rocher, Emmanuelle Bercot, Naidra Ayadi, Sandrine Kiberlain, Audrey Lamy, Lou Doillon, Frédéric Pierrot, Nicolas Duvauchelle, Riccardo Scamarcio, Jérémie Elkaïm, Wladimir Yordanoff, Anthony Delon et bien d’autres encore… Sans oublier JoeyStarr, qui, époustouflant de naturel et de force brute, vole un peu la vedette aux autres…
Prix d’interprétation masculine? Prix d’interprétation collective hommes/femmes? Ce ne serait pas scandaleux…
En tout cas, si Polisse n’est pas un grand film – sa fin, pas franchement nécessaire et un peu lourde, le dessert un peu – il est assurément un bon film, et une bonne surprise.
Un métier de dingue que celui de flic… Mais que dire de celui de Miss? Un métier dangereux, physique, dégradant, humiliant, où il faut payer de sa personne et risquer sa vie chaque jour… Enfin, ça dépend où, hein? En France, les Miss n’ont rien d’autre à faire que défiler en bikini et débiter des banalités cucul la praline devant un parterre de people, Jean-Pierre Foucault ou le chapeau ambulant de Geneviève de Fontenay. Au Mexique, c’est plus âpre… Pour gagner, il faut avoir des soutiens, ce qui implique de frayer avec des groupes peu recommandables. Laura et sa copine ont décidé de mettre tous les atouts de leur côté et participent à une soirée chez des types influents pouvant les parrainer. Mais la soirée tourne au cauchemar quand un commando de narcotrafiquants vient commettre un vrai massacre. Seule rescapée, Laura voit sa vie épargnée en échange de “services”. Au passage, son nouveau protecteur lui assure d’user de tout son pouvoir pour la faire élire “Miss Basse Californie”. Mais comment dire qu’on est pour la paix dans le monde, la justice et l’amour, quand on est confrontée à la violence, au meurtre, au viol ?
A la semaine de la critique, le cinéma latino américain était aussi à l’honneur avec la projection de Las Acacias, un road-movie menant du Paraguay à l’Argentine. Ce premier film joue sur l’opposition de caractères entre des personnages quasi-mutiques. D’un côté un chauffeur de camion solitaire et ombrageux, de l’autre une jeune indienne guarani et son bébé. Evidemment, ils vont finir par apprendre à se parler, à s’apprécier, et pourquoi pas à vivre une belle histoire d’amour…
C’est sympathique et intelligemment monté – le cinéaste est monteur à la base – mais 1h30 presque sans sortir de la cabine d’un camion, ça fait quand même un peu long…
A Un Certain Regard, il y avait également la présentation de Toomelah d’Ivan Sen, qui se déroule dans un village aborigène, et Arirang, le nouveau film de Kim Ki-Duk, après trois ans d’absence…
A La Quinzaine, les choses sérieuses ont commencé avec trois films proposés au public. The Other side of sleep, le thriller psychologique de Rebecca Daly, Volcano, le film islandais de Runar Runarsson et Jeanne captive de Philippe Ramos. Je n’ai pas vu les deux premiers, mais j’ai pu assister à la projection du troisième, avec une présentation pleine d’humour du cinéaste, qui a expliqué que faire ce film était comme un western, chaque étape du financement, chaque retard étant une balle reçue. Il a joué la comédie, s’est roulé par terre, a fini agonisant sur la scène… très drôle…
Son film, lui, est beaucoup plus austère et beaucoup moins drôle. Il faut dire que le cinéaste raconte les derniers jours de Jeanne d’Arc, depuis sa capture jusqu’à sa fin sur le bûcher. Et qu’il s’agit avant tout d’un film sur la foi et l’immensité… Ce n’est pas trop ma tasse de thé, comme on dit, mais il y a des plans vraiment superbes, et des performances d’acteurs tout à fait correctes, Clémence Poésy en tête…
Enfin, il y avait aussi deux documentaires hors compétition – Michel Petrucciani, body & soul et Tous au Larzac, qui véhiculent de bons échos… – un premier film danois, Labrador dont les premiers avis sont plus mitigés, et Wu Xia, le film de sabre de Peter Ho-Sun Chan, présenté en séance de minuit. Enfin en séance de 1h du mat’, plutôt… Trop tard pour moi…
Juste une question : est-ce que demain, les jambes de bois et les crochets seront à déposer au vestiaire? Parce que les pirates des Caraïbes partent à l’abordage de la Croisette…
A demain, donc, pour de nouvelles chroniques cannoises.