Vous vous souvenez de la réplique récurrente de Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) dans Les Bronzés font du ski ?
“J’ai une ouverture, j’crois que j’vais conclure…”. Et évidemment, il n’arrivait jamais à ses fins…
Hé bien à Cannes, le premier jeudi du festival, c’est un peu pareil : il y a des ouvertures partout, mais c’est difficile de conclure, à moins d’être trèèèèès patient et opiniâtre et/ou d’avoir un badge ultra-prioritaire…
Ouverture de Cannes Classiques en présence de Jerry Schatzberg et Faye Dunaway avec Portrait d’une enfant déchue. Probablement très difficile d’y accéder…
Ouverture de Un Certain Regard avec le nouveau film de Gus Van Sant, Restless, produit et interprété par Bryce Dallas Howard. Mission quasi impossible pour y accéder. Rien qu’à la première séance, à 11h, il y avait une file d’attente impressionnante qui venait parasiter celle du film en compétition officielle. Alors le soir à 19h, ça devait être sympathique… C’était prévisible : Gus Van Sant est un cinéaste attendu, qui génère un certain engouement… Cela dit, les échos de ceux qui l’ont vu ne sont pas très bons…
L’accès à l’autre séance du jour, le film brésilien Travailler fatigue, devait à priori être un peu plus aisé…
Ouverture de La Semaine de la critique. Encore une mission quasi-impossible. Il faut savoir que la salle du Miramar a une capacité moindre que les autres lieux de projection et que les organisateurs invitent beaucoup de monde à ce genre de séance spéciale, sans oublier la presse officielle, qui se déplace massivement pour couvrir la cérémonie. Donc déjà, ça limite grandement la capacité d’accueil des autres festivaliers. Et s’il s’agit d’un long-métrage français, il y a des grandes chances pour qu’une bonne partie de la salle soit squattée par l’équipe du film… Pour La Guerre est déclarée, le film de Valérie Donzelli, qui a été tourné avec une équipe réduite, cela n’a pas posé trop de problème, c’est vrai… Mais la jeune cinéaste/scénariste/actrice est soutenue par tous les grands pontes du ciné art & essai français, et ils étaient là pour découvrir son second long-métrage, dont ceux qui l’ont vu disent le plus grand bien…
Ouverture de L’Acid. Faisable mais compliqué, car la salle est là aussi relativement petite et beaucoup de festivaliers n’ayant pas envie de faire la queue durant des heures se rabattent sur cette programmation…
Ouverture, enfin, de la Quinzaine des Réalisateurs. J’ai opté pour celle-ci par défaut, sachant qu’il était pour moi quasiment impossible d’accéder aux autres cérémonies. Et j’ai conclu… Ouf! Mais il m’a fallu prendre mon mal en patience. Deux heures de queue avant d’être autorisé à entrer en salle pour occuper l’un des derniers fauteuils de libre après que se soient installés la presse prioritaire, les invités VIP et la délégation officielle composée du Ministre de la Culture, du député-maire de Cannes, et du maire de Paris, dont on se demandait bien ce qu’il fichait là…
La Cérémonie a débuté avec la remise du Carrosse d’Or 2011, prix traditionnellement remis par la Société des réalisateurs de films et Canal + à un cinéaste choisi pour les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans la mise en scène et la production.
Cette année, le choix se fait autant artistique que politique : En choisissant de remettre ce prix à Jafar Panahi, cinéaste iranien condamné à une lourde peine de prison pour avoir ouvertement critiqué le régime d’Ahmadinejad, les cinéastes de la SRF entendent soutenir la liberté d’expression et de création artistique, quel que soit le pays, quel que soit la discipline artistique concernée.
Entourée de ses confrères Costa-Gavras, Olivier Assayas, Michel Piccoli, etc…, Agnès Varda, précédente lauréate du prix et membre de la SRF a fait un joli discours sur la liberté de l’artiste, avec un petit mot de soutien à d’autres prisonniers politiques, en Iran, en Chine et ailleurs. Et a remis le prix de façon très poétique : Puisque Jafar Panahi, assigné à résidence en attendant son incarcération, ne peut se déplacer pour chercher son prix, Madame Varda a eu l’idée de venir avec un pigeon voyageur qu’elle a chargé symboliquement d’envoyer au cinéaste iranien toute notre sympathie et nos encouragements…
Après ce discours, le long laïus du Ministre de la Culture – “Bonsouaaaaar” a paru, comment dire, euh… “superfétatouâaaare”. Oui, c’est ça! Merci, Monsieur le Ministre…
Un petit mot de Frédéric Boyer, délégué de la Quinzaine, pour présenter les réjouissances de la semaine, et on pouvait faire venir sur scène Fiona Gordon, Dominique Abel et Bruno Romy pour qu’ils présentent leur troisième long-métrage, La Fée. Toute l’équipe du film est venue sur scène, y compris un tout jeune acteur, âgé de quelques mois seulement, qui n’a visiblement pas trop aimé d’être mis ainsi sous le feu des projecteurs et l’a bruyamment fait savoir par quelques pleurs. “Rassurez-vous, il ne reste pas à la projection”, a précisé son producteur de père… Ouf!
Bon, et le film dans tout ça? Eh bien, il est dans la lignée des deux autres films du trio – L’Iceberg et Rumba – burlesque, poétique, loufoque et décalé.
L’histoire se déroule au Havre, autour d’un petit hôtel miteux pas très loin des docks. Le veilleur de nuit s’apprête à passer une soirée tranquille devant une bonne vieille vidéo et un bon sandwich quand des drôles de clients viennent troubler sa quiétude. L’un est un anglais muni d’un chien remuant, l’autre lui affirme être une fée et avoir le pouvoir d’exaucer trois voeux… Ajoutez à cela un trio de sans papiers qui veulent partir en Angleterre, un patron de bistro complètement miro et un pack de rugbywomen expertes en art lyrique et vous aurez déjà une brève idée de ce à quoi peut ressembler ce drôle de film.
L’ensemble est sympathique et, pour peu que l’on ne soit pas allergique à cet univers artistique très singulier, entre Tati et les films de Kaurismäki, on prend du plaisir à suivre les mésaventures absurdo-comiques de ces drôles de zigues.
Simplement, le film s’essouffle un peu en cours de route. Au début, les gags s’enchaînent à un rythme correct, la machine burlesque fonctionne bien. Mais elle tombe en panne sèche à partir du moment où la romance entre les deux personnages principaux se développe. Les ressorts burlesques se retrouvent un peu grippés. On rit un peu moins. Mais à la place, on peut se délecter des curieuses séquences dansées de Fiona Gordon et Dominique Abel, qui faisaient déjà le sel de leur Rumba. Citons notamment une belle séquence “aquatique” avec un ballet de méduses en… sacs plastiques…
A l’arrivée, le film est intéressant, attachant même. Mais il manque un petit rien, une mécanique burlesque un peu plus huilée, ou une rupture de ton un peu plus marquée, pour que l’on soit véritablement conquis… A quand le prochain?
En tout cas, il faudrait bien une fée pour organiser un peu mieux les files d’attente, surtout celles devant le palais des festivals. C’était un peu la cohue, ce matin… Difficile de se déplacer au sein d’une marée humaine imposante et hétéroclite, entre les promeneurs égarés, les spectateurs de l’auditorium Lumière et ceux de la salle Debussy, plus tous ceux qui ne cherchaient qu’à rentrer au palais… Passez-moi, l’expression : “un beau bordel”…
D’ailleurs, en parlant de bordel, au sens premier du terme, l’exploitation sexuelle et la sexualité semblent être deux des thèmes centraux de la programmation cette année. En attendant le film de Bertrand Bonello, L’Appolonide, souvenirs de la maison close, deux films traitaient de ces sujets aujourd’hui.
A la semaine de la critique était projeté The Slut de l’israélienne Hagar Ben-Asher. Comme son nom l’indique, le film raconte l’histoire d’une femme qui a tendance à coucher avec n’importe qui n’importe où… Ou plus trivialement, on pourrait dire que c’est l’histoire d’une femme qui passe son temps à rouler en vélo, et crever volontairement pour qu’un homme charitable vienne la dépanner. Echange de bons procédés. Il pompe pour regonfler ses pneus, elle le pompe goulument en retour… elle lui offre ses chambres à airs, il lui rebouche les trous… Hum…
Bon, c’est bien gentil, tout ça, mais sur 1h30 de film, c’est un peu long… Surtout que le comportement frivole de la jeune femme ne sera pas sans conséquences et que le film prend une tournure moralisatrice assez agaçante. Et comme les scènes charnelles ne sont guère excitantes, le film procure bien vite l’ennui.
On serait tentés de s’endormir dans un sommeil aussi profond que celui d’Emily Browning dans Sleeping beauty, l’un des films présentés en compétition officielle, mais elle aussi, il lui arrive de drôles de trucs quand elle dort. Pour arrondir ses fins de mois et payer son loyer, son personnage accepte la proposition d’une curieuse agence d’escort-girls. En tenue plus que légère, elle doit assurer le service lors de dîners très privés pour de vieux bourgeois en mal de sensations fortes. Et, après avoir bu une décoction à base de somnifères, elle est livrée en pâtures à de vieux dégueulasses qui la tripotent tant qu’ils veulent puisque de toute façon, elle ne se rappellera de rien au réveil. Mais attention, la règle, c’est quand même “pas de pénétration”. C’est une agence classe, quand même…
Sulfureux? Sordide? Scandaleux? Non… Juste ennuyeux. Et abscons…
Qu’a voulu dire la cinéaste,Julia Leigh ? On devine bien une ébauche de réflexion sur la solitude, la détresse affective qui frappe aussi bien les plus âgés que les plus jeunes, mais on reste sur notre faim… Pourtant, la mise en place était intéressante. L’ambiance est froide, oppressante. Il y a des idées de mise en scène, des choses intéressantes pour une première réalisation. La tension monte progressivement. On s’attend à un drame sordide, un viol, une séance de sévices tordus. Et puis, rien… On quitte le film en se demandant si on a raté un épisode, si on a dormi comme l’héroïne et que l’on ne se rappelle plus de rien, et surtout, ce qu’a voulu dire l’auteure…
Annoncé avant le festival comme une bombe potentiel, un de ces films qui sortent de nulle part et peuvent prétendre à la palme, Sleeping beauty est finalement une déception. En revanche, We need to talk about Kevin est une sacrée bonne surprise.
Dès les premières minutes, la cinéaste Lynne Ramsay nous happe avec une séquence onirique étrange, aux dominantes rouge-sang, qui donne le ton du film, puis un montage morcelé où on devine progressivement la nature du drame vécu par le personnage principal. Un montage morcelé qui correspond aux fragments d’une vie brisée, de vies brisées, et notamment celle d’une femme qui tente de se reconstruire dans un milieu particulièrement hostile.
Le dispositif est brillant, porté par une mise en scène extrêmement précise et rigoureuse, un gros travail sur les couleurs – toujours une trace de rouge à l’écran, sous une forme ou une autre, quelques éclairs de jaune couleur d’un accessoire ayant trait avec le drame – sur les sons – les cris d’enfant se transformant en bruits de marteau-piqueur -sur les effets de transition… On est intrigué, on a envie d’en savoir plus sur le drame, sur l’avenir du personnage incarné par une Tilda Swinton égale à elle-même, donc magnifique.
Et même si le film faiblit dans sa seconde partie, un poil trop long et trop appuyé, il pose quand même des questions passionnantes sur la maternité, l’amour maternel, l’éducation et la violence, et nous montre un des gamins les plus terrifiants jamais vu dans un film. Oui, le Damien de La Malédiction n’a plus qu’à aller se rhabiller…
En tout cas, Lynne Ramsay progresse de film en film et se pose clairement en candidate sérieuse à la Palme d’or, ou du moins à un prix de mise en scène, qui ne serait pas scandaleux… Elle a clairement une ouverture. Va-t-elle conclure? Réponse le 22 mai prochain…
A demain pour de nouvelles chroniques cannoises…