Ca sent la fin…
La Semaine de la Critique a fermé ses portes jeudi, la Quinzaine des réalisateurs s’est achevée hier. Plusieurs jurys ont déjà remis leurs prix (Fipresci, Jury oecuménique,…) et les stands du marché du film sont en cours de démontage. A voir la faible foule amassée aux pieds des marches, on sent que beaucoup de festivaliers ont déjà plié bagage.
Pourtant, il y avait quand même encore quelques films à voir aujourd’hui, à commencer par les deux derniers longs-métrages en compétition.

Il était une fois en Anatolie - 2

Le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, primé trois fois à Cannes, revient sur la Croisette avec Il était une fois en Anatolie
Le  titre fleure bon la fresque épique façon Sergio Leone mais ne vous y trompez pas, c’est du Nuri Bilge Ceylan pur jus, étiré sur plus de 2h30.
Le cinéaste se sert d’une intrigue vaguement policière – un convoi composé de flics, d’un procureur, d’un médecin-légiste et de criminels part de nuit à la recherche d’un cadavre enterré dans les steppes de l’Anatolie – pour disserter des choses de la vie, du temps qui passe, de la maladie et de la mort, à travers des plans composés comme des tableaux, de toute beauté. Et comme d’habitude, Ceylan, c’est lent. Trèèèèèèès lennnnnnnt…
Le programmer en fin de festival, après dix jours de projections intenses n’est pas franchement un cadeau, mais bon, le cinéaste turc l’a bien cherché…
Il aurait pu condenser un peu son intrigue, la rythmer un peu mieux, parce que franchement, il ne se passe vraiment pas grand chose à l’écran et même si le propos philosophique est passionnant, il faut s’accrocher pour ne pas sombrer dans l’ennui et le sommeil… On peut dire des choses sans susciter de la lassitude chez le spectateur, non?

La Source des femmes - 3

Prenez La Source des femmes, par exemple. Egalement présenté en compétition, le nouveau film de Radu Mihaileanu fait passer un grand message humaniste, en phase avec des problématiques contemporaines, tout en proposant une oeuvre esthétiquement belle, joliment interprétée, souvent drôle et émouvante.
L’histoire se passe en Afrique du Nord, dans un petit village isolé, dépourvu de tout confort moderne. Pas d’électricité, pas d’eau courante…
Ce sont les femmes qui, traditionnellement vont chercher l’eau à la source, située en haut de la montagne, empruntant des sentiers escarpés dangereux. Même les femmes enceintes sont tenues de participer à la corvée, au risque de chuter et de se blesser. Et que font les hommes, pendant ce temps-là? Ils boivent le thé tranquillement en papotant… Avant, ils travaillaient dans les champs, mais maintenant, les terres sont trop arides pour être cultivées, alors autant rester oisif et profiter de ce temps libre…

Quand l’une des femmes, enceinte, chute et perd son enfant en allant chercher l’eau, la belle Leïla (Leïla Bekhti) exhorte ses camarades féminines à se mobiliser pour convaincre les hommes de faire installer l’eau courante et, à défaut, d’aller chercher l’eau eux-mêmes.
Elles décident d’utiliser leur seul moyen de pression : leur corps. Oui, elles se lancent dans  une “grève de l’amour”. Tant que les hommes ne feront pas venir l’eau au village, ils seront privés de câlins et de sexe !
La décision n’est pas sans provoquer quelques remous dans ce village musulman traditionnaliste, notamment chez les hommes, tentés de répudier collectivement ces épouses qui les humilient, mais les femmes, solidaires, tiennent bon… Elles n’ont pas grand chose à perdre…

C’est un film militant qui entend bien faire réfléchir et surtout, à faire réagir. Radu Mihaileanu prône l’égalité des sexes, la nécessité de moderniser les infrastructures des villages isolés, celle de garantir l’accès à l’éducation, seul moyen d’ouvrir les esprits et de favoriser le dialogue,…
Il fustige l’islamisme et les interprétations archaïques du Coran, en prenant bien soin de ne pas caricaturer la religion musulmane. Convoquée par l’imam du village pour s’expliquer, Leïla s’appuiera en effet sur le Coran et l’interprétation des Sourates pour réclamer l’égalité entre les hommes et les femmes…
Le film s’inscrit donc parfaitement dans le cadre des grands mouvements populaires qui ont secoué le Maghreb ces derniers mois et forcé des tyrans à quitter le pouvoir. Il rappelle aussi le chemin qui reste à parcourir pour que les femmes arabes soient considérées comme les égales de leurs concitoyens masculins…

La Source des femmes - 2

Certains trouveront sans doute cela trop naïf, trop plein de bons sentiments… C’est effectivement l’une des caractéristiques du cinéma de Mihaileanu, qui ne possède certes pas la maîtrise technique d’un Bilge Ceylan, mais qui compense en mêlant son message politique à un grand spectacle mélodramatique. Néanmoins, il évite intelligemment les pièges de l’émotion facile ou de l’humour de bas étage pour livrer une oeuvre généreuse et humaniste, traitant de sujets contemporains et universels.
Un  grand film populaire, au sens le plus noble du terme. Et, de mon point de vue, l’une des oeuvres les plus convaincantes proposées en compétition officielles.
Après le triomphe du cinéma radical l’an passé, avec l’Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul, le festival de Cannes pourrait choisir cette fois de se réconcilier avec le public et de primer ce beau long-métrage, porté de surcroît par une troupe d’actrices magnifiques : Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Biyouna, Hiam Abbass,…

Ce samedi était également marqué par la projection des différents films en lice pour la palme du court-métrage… Le jury présidé par Michel Gondry doit trancher entre les neuf prétendants, venus d’horizons très différents.

 Elena - 3

Celui de la section Un Certain Regard, présidé par Emir Kusturica, a, lui, terminé sa mission. La section parallèle principale du festival s’est en effet terminée aujourd’hui, avec la remise de son grand prix à deux ex-aequo : Arrirang de Kim Ki-Duk et Halt auf freier strecke d’Andreas Dresen.
Mohammad Rasoulof, cinéaste iranien qui, comme Jafar Panahi, n’a pas le droit d’exercer son art en Iran, voit son courage couronné d’un prix de la mise en scène. espérons que l’exposition médiatique de ce film clandestin ne vaudra pas de nouveaux déboires au cinéaste…  
Enfin, Elena, film de clôture de la section, a reçu le prix du jury.
Le film du russe Andrey Zviagintsev est, comme les oeuvres précédentes du cinéaste, un film austère et froid, porté par une mise en scène très précise et des interprètes lumineux. Le rôle-titre est une infirmière, jouée par Nadezhda  Markina, qui a épousé en secondes noces Vladimir, un homme riche et issu d’une classe sociale plus élevée.
ils ont chacun un enfant de leur union précédente. Le fils d’Elena galère pour boucler les fins de mois et n’est pas certain de pouvoir financer l’université pour son fils aîné. La fille de Vladimir, un brin rebelle, fait tout pour maintenir son paternel à l’écart de sa vie.
Mais quand celui-ci fait un infarctus et se retrouve à l’hôpital, mal en point, la jeune femme fait l’effort de revenir vers lui. Un retour qui modifie un peu les projets testamentaires du vieil homme, et induit quelques tensions.
L’auteur semble vouloir dénoncer la place de l’argent et de la réussite sociale dans la Russie contemporaine, au détriment des sentiments et des liens familiaux. Il dresse un portrait glacial et glaçant d’êtres humains en pleine tourmente, dans une société en pleine perte de repères. Il s’agit d’un beau film qui saura séduire les cinéphiles qui passeront outre sa lenteur…

Hé bien voilà… C’est fini pour cette année – ou presque.
Si le dernier dimanche du festival est traditionnellement consacré aux reprises des films en compétition, il reste encore le film de clôture, Les Bien-aimés de Christophe Honoré et, bien sûr, le palmarès de ce 64ème Festival.

A demain, donc, pour une ultime chronique cannoise, et un petit bilan de la quinzaine.

Cannes 2011 affiche 2

2 COMMENTS

  1. En tout cas la palme d’or du blog ciné en presque direct live de Cannes à Angle(s) de Vue :))

  2. Merci ! Alors, moi, je vais remercier tous ceux qui m’ont soutenu pendant ces douze jours de festival, tous ceux qui m’ont obtenu des invitations à certaines séances compliquées à obtenir, ainsi que les amis qui m’ont hébergé.
    Sinon, oui, j’ai tenu la cadence… Avec toujours près d’une journée de décalage entre l’évènement et mes textes. Mais c’est le prix à payer pour voir un maximum de films. Je n’ai pas compté mais j’ai du à peu près me faire mes cinq séances quotidiennes, soit une cinquantaine de films… Je me disais aussi, je suis un peu fatigué, moi… 🙂

LEAVE A REPLY