Le premier plan de Touch me not explique non sans une certaine poésie la démarche de la cinéaste roumaine Adina Pintilié : La caméra parcours lentement, en très gros plan, un corps d’homme nu. Filmé ainsi, on dirait presque un paysage, des herbes folles poussant sur des dunes inexplorées, ou, au choix, une zone gardée par des barbelés infranchissables. L’idée est de se promener dans des espaces interdits, d’aller au-delà des tabous, des préjugés, de notre propre conception de la beauté et du désir, de réfléchir sur l’idée du physique pour mieux appréhender le psychique.
Le film, mélangeant la réalité et la fiction, nous invite à suivre une galerie de personnages ayant ou ayant eu un problème avec leur rapport au corps. Ils peuvent avoir du mal à accepter leur propre corps, le regard des autres, le contact intime ou leurs propres fantasmes érotiques.
Le personnage principal est une quinquagénaire (Laura Benson) qui ne supporte aucun contact physique, notamment lorsque celui-ci est en lien avec du désir sexuel. Cette névrose, liée à un traumatisme d’enfance, l’empêche d’avoir des rapports normaux avec les autres, et notamment avec les hommes. Elle a du mal à s’accepter telle qu’elle est, à plus forte raison depuis que son corps vieillit. Elle essaie donc de surmonter ce problème en discutant avec des personnes n’ayant aucun complexe avec leur corps et en tirant même une source de profit : un jeune escort boy ultra-tatoué, un colosse travesti, un psychiatre offrant des méthodes thérapeutiques très tactile… Elle découvre également un ensemble de personnes effectuant une thérapie de groupe pour mieux vivre ensemble, parmi lesquelles un islandais atteint d’alopécie (Thomas Lemarquis, déjà vu dans Noi Albinoi) et un handicapé bien dans sa peau (Christian Bayerlein), qui essaie de faire accepter aux autres son physique atypique. Tout ce petit monde évolue sous le regard de la caméra d’une cinéaste (incarnée par Adina Pintilié elle-même) réalisant le film pour des motifs très personnels et intimes.
On comprend la démarche, louable, d’Adina Pintilié, qui cherche à faire réfléchir le spectateur sur lui-même et sur son attitude vis-à-vis des autres, notamment des personnes “différentes”, et l’inviter à redéfinir la notion d’intimité. En revanche, son dispositif nous séduit moins. Pourquoi n’avoir pas réalisé un véritable documentaire sur le sujet? Pourquoi essayer à tout prix de provoquer les âmes prudes en ajoutant à sa structure des scènes dans des clubs libertins ou dans les backrooms de clubs sado-masochistes? Pourquoi projeter sa propre histoire dans le récit, alors que celle-ci n’a pas grand chose à voir avec les problématiques des différents personnages? En jouant sur la surenchère, et en ajoutant des artifices fictionnels, on a un peu de mal à éprouver de l’empathie pour tous ces personnages. Sans vouloir jouer sur les mots, nous n’avons pas été touchés par ces personnages, du moins pas suffisamment. Le seul à sonner « vrai », dans ce récit est peut-être Christian Bayerlein, très à l’aise avec son corps et son handicap.
Par ailleurs, il est clair que la mise en scène, reposant sur des choix esthétiques assez radicaux – notamment l’utilisation de fonds blancs lumineux assez agressifs, montrant la chair dans toute sa crudité, ou les effets stroboscopiques pour voiler les scènes les plus hard, ne plaira pas à tout le monde. Autant le préciser tout de suite, visionner Touch me not peut s’avérer une véritable épreuve pour un public non-averti… Cela dit, cette forme atypique sort du lot des films en compétition et pourrait bien faire la différence auprès du jury de la Berlinale, en cas d’hésitation dans l’attribution des prix.