mein-bruder-heisst-robert-und-ist-ein-idiot-german-movie-posterBon, aujourd’hui, c’est interro surprise à la Berlinale ! A vos caméras, amis cinéastes! Vous avez trois heures pour nous parler d’un sujet philosophique de votre choix…

L’élève Gröning a visiblement choisi de disserter du Temps. On sent bien qu’à un moment donné, il a été tenté de poser sa caméra et la laisser tourner pendant trois heures, afin de s’inscrire dans l’esprit de cette légendaire copie blanche d’élève répondant à la question “qu’est-ce que le risque?”. Mais il s’est dit que ses examinateurs (le public et le jury) ne seraient peut-être pas très enclins à la plaisanterie. Alors, il alterne les discussions philosophiques entre les deux personnages principaux, une adolescente de 18 ans, Elena (Julia Zange) et son frère jumeau Robert (Josef Mattes), qui, comme chacun le sait – c’est dans le titre –, est un idiot. Un idiot qui cite Heidegger et parle du temps, de la vérité, de la nature humaine, certes, mais un idiot quand même, qui n’a pas travaillé assez en classe et ratera forcément son bac…
Le cinéaste meuble avec des plans larges de la nature environnante (les deux ados devisent et révisent assis dans les herbes folles, en face d’une station-service isolée), histoire de montrer le côté dérisoire de l’humanité face à l’immensité de l’univers et à l’éternité. Wah! C’est beau! Mais de là à tenir la distance avec ça…
Et ce ne sont pas les scènes qui viennent de temps à autres baliser le récit, banales à pleurer, qui vont arranger les choses : visites à la station-service, promenades au bord de l’eau, partie de football avec un gamin…

Alors, le cinéaste pimente un peu la chose. Il ajoute des gros plans assez sensuels sur les visages et les parties du corps des personnages baignés par l’aveuglante luminosité du soleil de début d’été, créant une atmosphère chargée de tension érotique. Parfois, des questions intimes et terre-à-terre viennent interrompre les échanges philosophiques des deux adolescents. Est-ce que Robert a couché avec sa petite amie? Il ne répond pas, provoquant la jalousie de sa soeur. Est-ce qu’Elena réussira à coucher avec un homme avant la fin du weekend? Il affirme que non. Elle lui parie que oui, et met tout en oeuvre pour emporter la mise, en aguichant régulièrement les clients de la station-service ou le guichetier, attisant la colère de son frère.
On devine qu’il y a quelque chose de malsain dans leur relation. Probablement un désir incestueux, consommé ou latent. Et la tension monte, peu à peu, mais pas trop vite, forcément, car le temps et la durée sont des notions toutes relatives…

Le film de Philippe Gröning continue comme ça pendant environ 2h30. Puis, conscient qu’il n’est en train de ne pondre qu’une copie remplie de platitudes platoniciennes et d’amours platoniques, il se dit qu’il ferait mieux de pomper sur le voisin autrichien, un certain Michael Haneke. Il avait déjà piqué son style pour réaliser La Femme du policier, long-métrage éprouvant par son sujet (la violence domestique), sa durée (comme ici, 3h…) et son traitement (des plans larges étouffant, froids et cliniques, façon Haneke, donc…). Ici, il fait basculer le récit dans une sorte de variante de Funny Games, mais toujours sous caution Heidegerienne, donc ça passera mieux (ou pas…) pour les âmes sensibles. Comme Gröning est un élève appliqué, il copie intelligemment, en composant des plans assez saisissants, où il utilise l’art du plan en plongée, sans doute pour mieux souligner le poids des actes des protagonistes.
Avec ce dernier paragraphe plutôt mouvementé, le cinéaste réussit (enfin) à réveiller le public et à choquer le bourgeois, mais au risque de perdre ceux qui ont eu la patience d’arriver jusque-là (les deux premières heures constituent, au choix, une épreuve ou un remède contre l’insomnie).

Quelle note mettre à cette copie? Assurément un peu plus que la moyenne, car d’un point de vue cinématographique, c’est plutôt mieux que certains cancres de la compétition. Et Gröning est un cinéaste plutôt régulier. Mais avons-nous vraiment envie d’encourager l’élève à livrer ce genre de devoir indigeste? Avons-nous envie de découvrir, dans un prochain festival, un nouveau film de 3h parsemé de scènes anodines, ennuyeuses à mourir parce que son auteur aura pensé que cela plaisait au plus grand nombre? Non, hein…
On met donc juste un peu au-dessus de la moyenne, pour l’originalité de l’objet filmique. Il est vrai que la philo selon Philippe, c’est assez différent du “Monde de Sophie” ou des cours plan-plan du lycée. Et Mein brüder heißt Robert und ist ein idiot est également très différent du reste des films en compétition de la Berlinale 2018, pour le meilleur ou pour le pire…

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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