Dans La Casa Lobo, on trouve bien un grand méchant loup et des petits cochons, et même une sorte de Boucles d’Or en guise d’héroïne, mais ce film d’animation chilien n’a pas grand chose à voir avec le conte traditionnel, ni la version que Walt Disney en a donné en 1933…
Le film débute par une série d’images d’archives des années 1960 vantant les mérites d’un miel produit au sud du Chili, dans une enclave abritant une communauté agricole. Le narrateur, doté d’un fort accent teuton, s’adresse au spectateur en lui disant qu’il ne faut pas croire toutes les rumeurs qui circulent sur cette colonie. Il se propose ensuite de nous raconter la fameuse fable, revisitée par ses soins.
Il y est question de Maria, une jeune femme qui a commis une bêtise en laissant s’échapper trois petits cochons de leur enclos et qui, pour éviter d’être punie, a fui l’enclave agricole. Elle se réfugie dans la première maison venue, dans la forêt, mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. Les murs se transforment, changent d’apparence, tout comme Maria et les trois petits cochons qui prennent une forme humaine et à qui elle donne des noms, comme s’il s’agissait de ses propres enfants. Finalement, on comprend qu’elle est contrainte de retourner dans la colonie pour y recevoir son châtiment…
Evidemment, quand c’est le loup lui-même qui raconte sa version de l’histoire, on se doute que la morale de ce conte est à prendre avec des pincettes. Le loup, en l’occurrence, représente Paul Schäfer, un ancien caporal SS qui, après la seconde guerre mondiale, a fui à la fois les procès des criminels nazis et les accusations de pédophilie et de viols sur mineurs, commis sous couverture d’une association caritative. L’homme s’est installé, comme beaucoup d’anciens dignitaires nazis, en Amérique du Sud, a Chili plus exactement, où il a créé la Colonia Dignidad. Là, il a formé une véritable secte dédiée à sa cause, où il a pu continuer à violer des enfants en toute impunité. Il a aussi ouvert les portes de sa colonie aux miliciens du dictateur Augusto Pinochet pour qu’ils puissent torturer discrètement les opposants au régime. Charmant monsieur…
Le film évoque tout cela non pas frontalement – ce qui serait sans doute insoutenable – mais sous couvert de la fable, avec la distance permise par l’animation, du dessin animé peint directement sur les murs de cette “Casa Lobo” à l’animation de figurines en papier mâché, image par image. Cela ressemble un peu à un cauchemar dans lequel tout semble flou, instable, effrayant. Les objets changent de place, le papier peint se déchire pour donner vie aux figurines. Il y a quelque chose d’un peu fou, de malsain, de pervers dans cet univers. Il est clair que, dans ce Chili des années 1960/1970, la Colonia Dignidad n’était pas le seul danger pour les jeunes femmes rebelles. Hors des murs, elles étaient confrontées à la misère, l’oppression, les violences des milices et de la police secrète de Pinochet. Et comme ceux-ci étaient évidemment de mèche avec Schäfer et ses sbires, les fuyardes avaient vite fait de retourner au bercail, où elles étaient sévèrement punies, sinon froidement exécutées.
On ne peut qu’être admiratifs du travail accompli par les deux jeunes réalisateurs du film, Cristobal Leon et Joaquin Cociña, qui on travaillé plus de sept ans sur ce projet un peu “loco”. Ils ont dû ruser pour obtenir des subventions, puis pour donner vie, image par image, à cette fable fascinante et terrifiante.
Assez logiquement, il repart de Berlin avec une récompense. Le Jury Caligari lui a accordé son prix, récompensant le meilleur film de la catégorie “Forum”.