Les jours se suivent et ne se ressemblent pas à la Berlinale. Si les films d’hier étaient tous frappés du sceau de la médiocrité, ceux d’aujourd’hui étaient réjouissants, enthousiasmants, instructifs, drôles, poignants… En bref, de beaux moments de cinéma qui nous regonflés à bloc pour la fin de ce festival. Hop! “un Mars et ça repart!”, pour reprendre un célèbre slogan.
L’un des films de la compétition du jour était justement Des nouvelles de la planète Mars de Dominik Moll, une comédie loufoque qui aborde en vrac beaucoup de préoccupations contemporaines – l’incommunicabilité entre les êtres, le décalage entre les générations, le stress professionnel, les préoccupations écologistes…
La planète Mars en question est Philippe Mars (François Damiens), un homme un peu vieux jeu, humble, raisonnable et travailleur, qui essaie de se rendre disponible pour ses proches, même si ceux-ci ne lui rendent pas toujours cette attention. Autour de lui gravitent son ex-femme, grand reporter pour la télévision et donc souvent en déplacement, sa fille aînée, focalisée uniquement sur ses études, son fils cadet, gamin précoce qui, à douze ans, échange des SMS salaces avec sa copine de classe et milite pour les droits des animaux, un patron esclavagiste, un collègue dépressif qui ne sort jamais sans son hachoir à viande, une sociopathe belge, une soeur artiste déjantée, un voisin âgé, ancien chauffeur de Valéry Giscard d’Estaing, des terroristes venus du Vercors, un chat, un chihuahua aux yeux globuleux, une flopée de grenouilles et les fantômes de ses parents. L’alignement de toutes ces planètes, entassées dans son appartement au point de le faire ressembler à la cabine des Marx Brothers dans Une Nuit à l’Opéra, va occasionner un grand changement dans la vie de Philippe et l’entraîner malgré lui dans une drôle d’aventure, à la fois psychologique et humaine.
Le film fonctionne plutôt bien, alternant les moments de comédie irrésistibles et des séquences plus amères, dans l’air du temps. On aurait juste aimé qu’il glisse progressivement vers quelque chose de plus grave et plus profond, qui lui aurait donné une dimension plus importante. Il y avait de quoi transformer le film en pur cauchemar, dans le bon sens du terme, car, comme dans Lemming, Moll affiche ses références à l’univers de David Lynch (les parents de Philippe Mars, notamment, évoquent le couple âgé de Mullholland drive). On doit se contenter d’une comédie réussie, mais on ne fera pas la fine bouche, car c’est une denrée rare.
Autre plaisir cinématographique, The Commune, de Thomas Vinterberg, qui nous invite à vivre deux heures au sein d’une communauté, dans le Danemark des années 1970. Quand Erik (Ulrich Thomsen) hérite de la maison de son père, il entreprend tout d’abord de la vendre, mais il finit par suivre l’avis de son épouse Anna (Tryne Dyrholm) et par mettre la maison en copropriété. Ils partagent donc la maison avec un vieil ami maniaque de l’ordre, qui a la fâcheuse manie de brûler toutes les affaires qui traînent, une femme libérée au rire communicatif, un immigré qui pleure à la moindre contrariété et un couple dont l’enfant a une maladie cardiaque. Très vite, le gamin n’est pas le seul à avoir des problèmes de coeur. Pour échapper à ce groupe un peu envahissant, Erik reste le plus longtemps possible à l’université, où il enseigne l’architecture, et il s’éprend d’Emma (Helene Reingaard Neumann), une de ses étudiantes. Pensant qu’il ne s’agit que d’une passade, Anna propose d’intégrer Emma à la communauté. Mais au fil des jours, le malaise s’installe…
Comme dans Festen, Vinterberg place sa caméra au sein d’un groupe en apparence paisible, mais sur le point d’imploser sous la pression des passions bouillonnantes, des peurs et des rancoeurs réprimées. Cependant, la destruction de ce microcosme n’est pas ce qui l’intéresse ici. Il cherche plutôt à montrer la fin d’une époque dorée, où le monde croyait à la force du collectif, de la vie en communauté et de l’amour libre, sans tabous. Les personnages qui forment la communauté réalisent qu’ils sont en train de changer, qu’ils vieillissent, qu’ils ne sont pas immortels ni invincibles. Leurs instincts individualistes s’expriment davantage que leurs idéaux communautaires. Ils assistent à la fin de la “parenthèse enchantée” qu’a constituée la période allant du milieu des années 1960 au milieu des années 1970, la fin des utopies libertaires.
Thomas Vintenberg réussit à trouver le ton juste, entre humour, tendresse, nostalgie et ce qu’il faut d’amertume pour que le spectateur s’attache immédiatement à cette communauté et adhère à ce film réussi.
Il y a aussi un peu d’amertume dans The Bacchus Lady de E.J.Yong. On suit Yun So-young, une dame âgée qui, faute d’une retraite suffisante, doit arrondir ses fins de mois en devenant une “Bacchus Lady”, terme élégant pour désigner une prostituée. La profession n’est pas sans risques. So-young apprend dès les premières secondes du film qu’elle a attrapé une maladie vénérienne et doit éviter tout rapport sexuel pendant quelques temps. Cela ne l’arrange pas vraiment, car la concurrence entre les Bacchus ladies est rude et, la police ayant intensifié la surveillance de son quartier, elle a du mal à trouver des clients. De toute façon, ceux-ci se font rares. Ses habitués prennent de l’âge, comme elle, et sont confrontés à d’autres problèmes liés à la sénescence (cancer, maladie d’Alzheimer, sentiment de profonde solitude…). Ces conditions de travail devenues difficiles, mais aussi sa rencontre avec une vielle amie, et l’irruption inattendue d’un petit garçon dans sa vie – un Philippin dont la mère effectue un court séjour en maison d’arrêt – vont l’obliger à réfléchir à son avenir et à certaines options professionnelles qui s’offrent à elle.
Le scénario, bien construit, aborde différents problèmes de société – la prostitution des seniors, la fin de vie et le droit à l’euthanasie, l’immigration, le passé douloureux de la Corée et les conséquences du programme d’adoptions lancé après la guerre de Corée… On aurait pu craindre un trop plein de thématique, mais l’ensemble fonctionne très bien, notamment grâce au travail des acteurs, tous émouvants et justes.
A la Berlinale, le plaisir du cinéphile se trouve aussi dans une belle sélection de documentaires.
Ainsi, nous avons pu voir le passionnant Zero days, présenté en compétition officielle. Le long-métrage d’Alex Gibney s’intéresse à l’affaire Stuxnet, une attaque informatique sans précédent qui a frappé de nombreuses infrastructures iraniennes entre 2001 et 2010, notamment celles dédiées au très controversé programme nucléaire du pays.
Qui est derrière cette attaque? Comment a-t-elle été possible? Quels étaient les enjeux géopolitiques de ce piratage? Quelles conséquences pour l’avenir? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre le documentariste. et autant dire que sa tâche n’est pas simple, car ses interlocuteurs, aussi bien les grandes sociétés informatiques que les autorités (NSA, CIA, FBI…) refusent de répondre à des questions relevant du secret défense.
Gibney démontre que le programme Stuxnet a été mis en place par les services secrets américains et israéliens, inquiets de voir l’Iran développer un programme nucléaire et donc, potentiellement, d’obtenir la bombe atomique. Des petits génies de l’informatique ont mis au point le ver le plus malin de l’histoire, contenant pas moins de huit “zero days”, des lignes de code non-répertoriées, contre lesquelles il n’existe aucun antidote connu.
Stuxnet a bien failli ne jamais être détecté par les autorités iraniennes. Celles-ci seraient encore en train de chercher les raisons de leurs pannes industrielles si l’un des instigateurs du virus, l’état d’Israël, n’avait commis l’erreur de modifier le code pour le rendre encore plus offensif. Stuxnet a été détecté par des informaticiens biélorusses, qui ont prévenu le gouvernement iranien de l’existence de ce ver informatique dans leurs systèmes. Comme l’affaire a éclaté au même moment que l’attentat, commis par le Mossad, d’un des meilleurs spécialistes du nucléaire du pays, cela déclenché une crise politique internationale. Les effets ont été inverses à ceux escomptés. l’Iran a mis les bouchées doubles pour mener à bien son programme nucléaire et a répliqué en formant ses propres équipes de hackers, qui se sont attaqués, pour l’exemple, à des intérêts économiques et stratégiques américains. Ceci a fait basculer la stratégie militaire dans le XXIème siècle. Aujourd’hui, tous les pays ont leurs équipes de spécialistes en sécurité informatique, qui créent des solutions de défense des systèmes et des machines, mais aussi des programmes offensifs, capables de contrôler en un clic toutes les infrastructures d’un pays ennemi. Cela fait froid dans le dos, surtout quand on voit que certains “experts” ayant entre les mains le destin de nos centrales nucléaires sont des geeks qui portent des capes dorées et construisent des Etoiles de la Mort en Lego !
Ce genre de détail n’aurait pas semblé incongru dans un documentaire de Michael Moore. Mais figurez-vous que ce-dernier travaille désormais pour le gouvernement Américain!
En préambule de son nouveau film, Where to invade next, le cinéaste américain explique que, suite à des décennies de débâcles militaires, les soldats ne veulent plus partir conquérir le reste du monde et il se propose donc de relever ce défi. Mais pas question d’aller occuper un territoire, ce n’est pas le genre de la maison! Moore entend juste récupérer les meilleures idées des pays qu’il visite et les proposer au peuple américain, dans le but d’améliorer les conditions de vie au pays de l’Oncle Sam.
Ainsi, il constate qu’en Italie, les gens ont tous le teint hâlé et l’air de gens qui viennent de faire faire l’amour. Leur secret? Ils ont cinq semaines de congés payés, contre… zéro aux Etats-Unis, à moins de travailler dans une branche où les syndicats sont très puissants. Pendant leurs vacances, ils se détendent, bronzent, profitent de la vie, découvrent d’autres pays étrangers. Et comment paient-ils cela? Avec leur prime de treizième mois. Quoi? Un mois de salaire en plus, sans travailler? !? Inimaginable dans une société américaine! Et le pire, c’est que les patrons italiens trouvent cela normal et sain! Hop! Adopté! Les Etats-Unis colonisent cette idée.
En France, il constate que les municipalités financent les cantines scolaires et s’impliquent pour que les enfants aient de vrais repas équilibrés. Comparé aux cantines américaines, les cantines françaises sont des restaurants gastronomiques…
En Norvège, il découvre un système pénitentiaire étonnamment cool, où les détenus ne vivent pas entassés les uns sur les autres, où les matons sont détendus et bienveillants et où les peines sont beaucoup plus douces qu’aux Etats-Unis. Avec un des taux de récidive les plus bas du monde…
Il parcourt ainsi le Monde à la recherche d’un système éducatif gratuit et efficace, d’une aide sociale performante, d’une justice incorruptible et d’un modèle carcéral idéal, d’un milieu politique où existe une parité homme-femme, de droits identiques pour les habitants quelle que soit leur couleur de peau. Il part en Finlande, en Slovénie, en Allemagne et même en Tunisie où, malgré un gouvernement très conservateur et religieux, on note des réformes démocratiques que les Etats-Unis sont incapables de faire.
D’aucuns trouveront les raccourcis de Michael Moore un peu faciles. Le cinéaste est un petit malin qui sait manipuler les chiffres pour servir son argumentation et qui élude les problèmes rencontrés dans ces pays-modèles dont il vante les mérites. Mais il faut bien comprendre que le film, bien que très drôle et très instructif pour un spectateur européen, s’adresse essentiellement au public américain. Ce dernier a tendance à penser que son mode de vie est jalousé par le reste du monde et que son système démocratique est parfait en l’état. Moore leur montre qu’ils ont tort, que d’autres systèmes existent, sans être des républiques bananières ou des modèles communistes radicaux. La démonstration est brillante, ludique et portée, comme toujours par un humour décapant.
Très applaudi, Where to invade next a été l’un des grands éclats de rire de la 66ème Berlinale.
Demain, fini la rigolade, avec le plus gros morceau de la compétition, un court-métrage de… 8 heures!