Présenté à la Mostra de Venise l’an passé, Ana Arabia, le nouveau long-métrage d’Amos Gitaï, n’arrive que maintenant sur nos écran, à une période où son message risque de se retrouver dilué dans une bien triste actualité.
Pourtant, il s’agit d’un bel objet cinématographique, intelligent, subtil et profond, qui mérite d’être découvert.
Le cinéaste nous invite à suivre Yael (Yuval Scharf), une jeune journaliste israélienne qui veut faire un reportage sur le destin de Siam Hassan, une Juive polonaise qui a survécu aux camps de concentrations puis qui est venue s’installer en Israël, et s’est convertie à l’Islam pour épouser un palestinien. Un parcours atypique, courageux, au vu des inimitiés entre les deux communautés. Siam Hassan, également connue sous le nom de Ana Arabia (Moi, l’Arabe) a vécu avec son mari et ses enfants dans un petit lotissement, à la frontière entre Jaffa et Bat Ya, jusqu’à sa mort.
La journaliste entend récolter les témoignages des proches de cette femme au destin passionnant : son mari, Yussuf, sa fille Miriam, qui entretient le jardin planté par sa mère, son fils Walid, sa belle-fille Sarah, les voisins de Yussuf… En circulant dans cette enclave coupée du reste de la ville, dernier bastion Arabe historique dans une ville de plus en plus mixte et plus moderne, et en discutant avec les habitants, Yael se rend compte qu’en plus de l’histoire de Siam Hassan, elle récolte suffisamment de matière pour raconter au moins quatre autres histoires passionnantes. Elle est notamment fascinée par l’histoire de Sarah, une Juive qui a elle-aussi réalisé un mariage mixte en épousant le deuxième fils de Siam et Yussuf et qui a souffert de l’échec de cette union.
La balade de Yael au sein de cette communauté permet d’évoquer la place des Arabes dans la société israélienne, le poids des communautés, l’intolérance, les difficultés sociales, la place de la femme dans les sociétés du Moyen-Orient, et, bien sûr, l’absurdité du conflit israélo-palestinien, on ne peut plus d’actualité…
Le scénario est évidemment très travaillé, découpé de façon à aborder le maximum de choses, mais les anecdotes racontées par les protagonistes sont bien réelles, tirées des souvenirs des véritables habitants de cette enclave située à Jaffa et de la femme qui a inspiré le personnage d’Ana Arabia, toujours en vie.
La particularité du film, c’est de n’être composé que d’un seul plan de 80 minutes. Un long plan-séquence ininterrompu qui suit la jeune journaliste dans les allées reliant les bâtiments du lotissement, avec un sens du cadrage qui laisse pantois et une direction d’acteurs brillante. Et pour une fois, il ne s’agit pas d’un exercice de style vain et prétentieux. Certes, le cinéaste s’est lancé le défi de réaliser le film en un plan unique, mais ce long plan-séquence fait sens. Il a une dimension politique : la caméra ne s’interrompt pas, parce que le cinéaste ne souhaite pas que le lien entre israéliens et palestiniens, entre Juifs et Arabes soit rompu. Le parti-pris de suivre Yael permet aussi au spectateur de vivre la même expérience qu’elle, et d’éprouver la même compassion pour les différents protagonistes.
Hélas, le cinéma est bien dérisoire face à la violence qui agite cette partie du globe, mais si le beau film d’Amos Gitaï arrivait à faire réfléchir ne serait-ce qu’une poignée de personnes, en Palestine et en Israël, sur la folie de ce conflit sans fin, s’il arrivait à convertir à l’idée de Paix quelques-uns des belligérants les plus acharnés, il aurait déjà une utilité inestimable.
Espérons donc que le destin atypique d’Ana Arabia puisse éveiller les consciences et inspirer la paix à ces deux peuples qui s’affrontent depuis trop longtemps.
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Ana Arabia Ana Arabia Réalisateur : Amos Gitaï |
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