Un américain navigue sur son voilier de plaisance, quelque part dans l’Océan Indien, entre Madagascar et l’Indonésie, quand il percute un container tombé d’un tanker.
La collision provoque une importante voie d’eau, qui inonde sérieusement la cale et fait disjoncter l’électricité. Isolé, sans moyen de communication, et menacé par une importante tempête, l’homme va devoir garder son sang-froid pour essayer de survivre…
Voilà le résumé de All is lost. 1h45 sur un bateau à la dérive en compagnie du seul Robert Redford. Pas de dialogues, ou presque. Pas d’autres personnages. Pas de flashbacks revenant sur le passé du naufragé. Pas d’effets mélodramatiques appuyés. Juste le combat d’un homme contre les éléments.
Pour reprendre les propos d’un de ses détracteurs en sortie de séance, “c’est comme L’Odyssée de Pi, mais sans le tigre”. Pas faux, mais cela ne fait que renforcer l’admiration que l’on éprouve pour ce film dénué des habituels artifices narratifs hollywoodiens, ou presque.
Cela pourrait vite s’avérer ennuyeux. Mais, hormis quelques longueurs, c’est au contraire passionnant, bouleversant, d’une finesse et d’une intelligence rares. Un vrai tour de force à mettre au crédit de J.C. Chandor, réalisateur du déjà brillant Margin Call, et Robert Redford, qui réussit la prouesse physique et artistique de tenir le film à lui seul, dans des conditions de tournage que l’on imagine plutôt rudes.
D’emblée, on est saisis par l’urgence de la situation. Le cinéaste installe une tension qui ne faiblira plus jusqu’au dénouement, alimentée par de nombreuses péripéties mettant les nerfs du personnages – et les nôtres – à rude épreuve.
En l’abordant simplement, au premier degré, All is lost est déjà une réussite. C’est un modèle de film-catastrophe, une fable qui met en exergue l’instinct de survie du personnage, mais aussi de l’Homme en général. Le navigateur tente de nombreux bricolages et stratagèmes pour maintenir son embarcation à flot, même si cela ne fait que reculer l’échéance. Plus le temps passe, plus les conditions de survie deviennent difficiles, mais le personnage ne renonce jamais. Il croit jusqu’au bout à un miracle, à un sauvetage de dernière minute, et fait face aux évènements avec courage.
Mais le film propose aussi un second niveau de lecture, plus engagé, plus politique.
Peu d’informations sont données sur le personnage du film. On sait qu’il est blanc de peau, occidental, anglophone, probablement américain et qu’il est relativement aisé, assez, en tout cas, pour avoir son propre voilier et se permettre de partir ainsi à l’aventure. L’embarcation représente, d’une certaine façon, la première puissance mondiale et son système économique dominant.
Ironie de l’histoire, c’est un conteneur chinois qui vient, sans crier gare, percuter l’embarcation et créer la brèche. Un conteneur plein de chaussures de marque fabriquées en Asie pour une somme dérisoire et destinées à être vendues bien plus cher aux consommateurs occidentaux. Métaphore d’un système économique en plein naufrage après la mutation rapide des économies de pays comme la Chine ou l’Inde, et l’inconséquence des marchés financiers américains…
Au cours de son périple, l’homme tentera de réparer son bateau avec du matériel de mauvaise qualité (made in China?), sera snobé par un cargo russe et d’autres navires marchands, peu attentifs à ce qui se passent autour d’eux… Réfugié dans le canot de survie – de forme circulaire, comme notre bonne vieille Terre – il devra faire face à la pénurie d’énergie, de nourriture et d’eau et à tous les requins qui tournent autour de lui… Toute ressemblance avec la situation écologique et économique de notre Monde n’est absolument pas fortuite, surtout venant du cinéaste ayant signé Margin call, film puissant sur les mécanismes de la crise économique et sur la dureté du modèle libéral américain… On comprend pourquoi Robert Redford, citoyen engagé, a accepté la proposition de Chandor…
Il a bien fait. All is lost est un film formidable. A le voir, et à voir l’accueil reçu sur la Croisette, lors de sa présentation hors compétition, on se dit qu’il aurait largement eu sa place en compétition officielle…
Espérons que le bouche-à-oreille, favorable, lui permettra de trouver son public lors de sa sortie en salle. Les personnes sujettes au mal de mer s’abstiendront, les autres se régaleront…
Notre note : ●●●●●●