« La femme est l’avenir de l’homme… » chantait le regretté Jean Ferrat…
Mouais… Mais alors, quid de la poupée gonflable ? C’est vrai ça, cet objet aux formes généreuses présente l’avantage de ne jamais avoir la migraine, de ne pas être d’humeur massacrante pendant la période menstruelle, de ne pas ruiner le budget du ménage en séances de shopping dignes de celles de Sarah Jessica Parker dans Sex & the city (1) et enfin et surtout de rester parfaitement silencieuse en toute circonstance…
Hé ! On se calme les chiennes de garde ! A la niche ! Je plaisantais bien sûr…
Mais blague à part, les poupées gonflables, ces objets de stupre et de luxure, fort peu nobles, inspirent apparemment les cinéastes.
On se souvient du fameux « pilote automatique » de Y a-t-il un pilote dans l’avion ? qui adorait se faire souffler dans la valve par les belles hôtesses de l’air. Ou de Monique, la poupée dont s’entichait Albert Dupontel, dans la comédie éponyme, grinçante et trashy, de Valérie Guignabodet. Ou encore, dans un registre plus fin, la Fiancée pas comme les autres de Ryan Gosling dans le film de Craig Gillepsie.
Pour ajouter à cette collection, voici aujourd’hui Air Doll, tout droit venue du Japon…
Il s’agit de l’adaptation d’un manga de Yoshiie Gôda (2), l’histoire assez simple d’une poupée gonflable qui prend soudainement forme humaine et quitte l’appartement de son propriétaire pour découvrir le monde extérieur, sillonnant Tokyo pour tenter de comprendre ce que signifie « être en vie ». Jusqu’à ce qu’elle rencontre Junichi, un jeune gérant de vidéo-club, et qu’elle tombe amoureuse…
Sur la trame de ce seinen-manga (3), de nombreux cinéastes auraient choisi la voie de la facilité et livré, selon les goûts, une bluette romantique ou une farce érotique. Mais ici, c’est Hirokazu Kore-Eda, l’auteur de l’excellent Still Walking, de Distance ou de Nobody knows, qui officie à la mise en scène.
Sous sa houlette, le film devient une jolie fable sur la solitude en milieu urbain, dans une cité tokyoïte où les gens courent sans cesse et ne prennent plus le temps de se voir ou de se parler.
Toute la première partie du film décrit le quotidien du propriétaire de la poupée gonflable, un quadragénaire assez terne. Pas le genre pervers, non… Pour lui, cette poupée est bien plus qu’un vulgaire objet sexuel. Certes, il l’utilise bien pour sa fonction primale, chaque soir, en la besognant comme il se doit, mais il la traite aussi et surtout comme une vraie femme. Il lui parle, la bichonne, lui donne le bain. Elle lui sert à nourrir le fantasme de cette vie de couple “normale” dont il est privé, suite aux aléas de la vie et à la difficulté de trouver l’âme soeur.
Mais il n’est pas seul à souffrir de solitude et de manque d’affection. D’autres personnages, de générations et de milieux différents, illustrent aussi cette thématique. Par exemple ce vieillard que ses enfants ne viennent plus jamais voir.
Les rencontres que fait la poupée, version féminine moderne de Pinocchio, permettent au cinéaste de dresser un portrait sans concession de la société japonaise contemporaine : à cette solitude, cette misère sexuelle et cette détresse affective s’ajoutent une certaine aliénation, des rapports humains inexistants ou déviants, axés sur l’argent et le besoin de dominer…
Pas franchement réjouissant, tout cela… De quoi se désespérer d’être humain…
Mais la vie vaut la peine d’être vécue, malgré toutes les difficultés rencontrées. C’est ce que va comprendre la poupée, une fois devenue humaine.
Elle va découvrir le monde avec les yeux d’une enfant curieuse, qui s’extasie d’un rien, de ces petites choses banales du quotidien qui font partie intégrante de notre vie mais que nous ne voyons plus – ou différemment. Et, grâce à sa parfaite innocence, elle va pouvoir développer un sentiment amoureux parfaitement pur, dont l’expérience justifie à elle-seule la beauté de l’existence.
La vie est trop courte et trop fragile pour ne pas profiter des petits moments de joie qu’elle procure, semble vouloir nous dire Kore-Eda.
N’ayons pas peur des autres, n’ayons pas peur d’aimer, n’ayons pas peur de vieillir ou de mourir. C’est peut-être tout le sens de la fin du film, très curieuse…
On retrouve ici les thématiques du sublime Still walking, tout comme on en retrouve aussi – en partie – le style, riche en poésie et parsemé de quelques pointes d’humour bienvenues. En partie seulement, car il faut bien reconnaître que cette oeuvre-là est un cran en dessous, tant sur le plan de l’émotion que de la rigueur technique.
Le problème, c’est que l’argument global est quand même assez mince et que le film, long de deux heures, finit par traîner en longueur. Du coup, malgré la performance impeccable de l’actrice principale Doona Bae, la poupée zarbi se transforme peu à peu en poupée barbante. On s’ennuie et on a tout loisir de décortiquer les petits travers de la mise en scène, dont l’emploi de symboles et de métaphores parfois un peu trop appuyés, qui tranchent avec l’apparente légèreté de l’ensemble.
Certains reprocheront d’ailleurs probablement au film ce côté évanescent, le recours au merveilleux et à la fantaisie. Mais avouons quand même que, pour un film ayant pour vedette une poupée gonflable et traitant de “l’insoutenable légèreté de l’être”, une mise en scène “aérienne” est loin d’être un choix absurde…
Même s’il n’est pas le meilleur film d’Hirokazu Kore-Eda, Air Doll possède suffisamment de qualités pour séduire le spectateur. Agréable à suivre malgré les quelques longueurs évoquées, sensible et intelligent, il est aussi truffé de scènes surprenantes, audacieuses, comme celle où, après que la poupée se soit entaillée et se soit mise à se dégonfler, son amant la sauve en lui réinsufflant quelques précieuses bouffées d’air par la valve située sur son nombril, qui fait aussi office de point G… Erotique et troublant…
Air Doll est à découvrir en salle cette semaine, plutôt que les pitreries navrantes de Michaël Youn & son Fatal Bazooka (4). Elles, pour le coup, devraient vite vous gonfler…
(1) : Non, je n’ai pas vu Sex & the city 2 et franchement, je n’ai pas envie d’y aller… Même si le premier opus tenait la distance, cette suite à l’air d’être un gros nanar boursouflé et à tout du « film de trop » pour cette franchise fort appréciée de la gent féminine.
(2) : « Kuuki Ningyo / The pneumatic figure of a girl » de Yoshiie Gôda – ed. Shogakukan (apparemment pas publié en France)
(3) : Seinen : manga plus « adulte », par opposition au Shônen manga. Pré-publié dans un magazine dont la cible première est composée de jeunes hommes de 15 à 30 ans.
(4) : Non, je n’ai pas vu Fatal et franchement, je n’ai pas envie d’y aller… La bande-annonce résume tout le film. A un moment, Stéphane Rousseau s’y exclame : “Vous avez vu le niveau?”. Ben oui… Et c’est pas bon…
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Réalisateur : Hirokazu Kore-Eda
Avec : Doona Bae, Arata, Jô Odagiri, Masaya Takahashi, Itsuji Itao, Susumu Terajima
Origine : Japon
Genre : fable gonflée
Durée : 2h05
Date de sortie France : 16/06/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Critikat
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