Comme son titre l’indique, le long-métrage de Sébastien Betbeder se déroule sur cinq saisons différentes – deux automnes et trois hivers – réparties sur trois années consécutives. Il nous invite à suivre l’évolution de deux couples, de la rencontre amoureuse, forcément belle, jusqu’à des moments plus difficiles, où la solidité de la relation est mise à rude épreuve.
Tout commence avec la décision d’Arman (Vincent Macaigne) de donner une nouvelle impulsion à sa vie. A 33 ans, il est célibataire, vivote avec de petits boulots, squatte l’appartement d’un couple d’amis. Il a une calvitie naissante et perd un peu la forme. Il décide donc de reprendre les choses en main et sa première décision, la plus simple à prendre, est de se mettre au jogging.
C’est ainsi qu’il rencontre Amélie (Maud Wyler), un beau matin d’automne. Ou plutôt qu’il rentre en collision avec elle. Coup de foudre immédiat. Pour lui du moins… Mais sur le moment, il n’ose pas l’aborder ouvertement…
La jeune femme est pourtant elle aussi à un moment charnière de son existence. Elle aussi cherche l’âme soeur, et multiplie les rendez-vous, tous aussi foireux les uns que les autres.
Leur seconde rencontre sera (presque) la bonne. Arman retombe sur elle par hasard, un soir. Et cette fois, il ne subit pas un choc, mais un coup de poignard en plein coeur. Au sens propre. Elle lui rend visite à l’hôpital et ils sympathisent. Première pierre à l’édifice de leur histoire d’amour.
Pendant qu’Arman et Amélie tombent amoureux l’un de l’autre et décident de vivre ensemble, Benjamin, le meilleur ami d’Arman, est lui aussi hospitalisé, dans un état préoccupant…
L’année suivante, Benjamin va mieux. Beaucoup mieux, même. Il a trouvé l’âme soeur à l’hôpital, auprès de la jeune kinésithérapeute qui s’occupait de lui. Ils vivent désormais ensemble et nagent en plein bonheur. En revanche, la relation d’Arman et Amélie montre les premiers signes d’essoufflement. Un coup de froid hivernal dont ils se remettront, ou pas…
Ainsi va la vie, composée de hauts et de bas, de moments d’euphorie ou d’angoisse, de bonheurs et de déceptions, que capte parfaitement la caméra de Sébastien Betbeder. Les choses ne sont jamais simples. Pour certains, les problèmes sont semblables à des orages d’été, fugaces mais violents, pour d’autres, ils ressemblent à un hiver éternel, un lourd et glacial manteau neigeux qui engourdit les coeurs et les âmes.
Rien de bien novateur, diront les détracteurs du film… Les histoires d’amour qui finissent mal (en général), les errances sentimentales de trentenaires célibataires, les coups de blues existentiels et les peines de coeur sont le fond de commerce du cinéma français depuis des lustres, ce qui ne manque pas d’agacer certains cinéphiles, lassés de ce manque d’inspiration thématique, qui s’accompagne souvent d’un manque d’ambition esthétique et narratif flagrant. Seulement voilà, s’il traite bien de thèmes ultra-classiques et universels, le film de Sébastien Bedbeder s’appuie sur une construction narrative assez atypique, des choix de mise en scène intéressants, et un ton nettement moins déprimant que la moyenne.
Déjà, il y a le choix de ce chapitrage par saison, chaque partie étant elle-même composée de sous-parties, des scènes plus ou moins longues, plus ou moins interdépendantes, axées autour du point de vue d’un des personnages. Ceci permet au cinéaste de donner de l’épaisseur à chacun d’entre eux, et offre aux comédiens suffisamment de matière pour avoir l’occasion de briller, sans voler la vedette aux autres. Le côté elliptique du récit sollicite aussi le spectateur, qui doit essayer d’imaginer ce qui s’est passé dans les interstices.
Ensuite, il y a cette décision audacieuse d’utiliser un support narratif très littéraire, très bavard, pour le fil conducteur du récit. Arman, Amélie, Benjamin et Katia racontent leur histoire directement face à la caméra, au présent, et commentent l’action en direct. La rencontre d’Arman et Amélie, par exemple, consiste en deux monologues successifs où les personnages expliquent pourquoi ils courraient ce matin-là, et comment leurs chemins se sont croisés. Puis l’action proprement dite se déroule sous nos yeux : une collision et une discussion d’une banalité affligeante, ce que ne manque pas de commenter immédiatement la jeune femme, en s’adressant au spectateur : “C’était nul cette discussion, mais c’est le début de notre histoire”… Et ainsi de suite, pendant tout le film. Chaque action des personnages étant surlignée par une phrase introductive ou un petit commentaire.
Tout ceci pourrait être très lourd, aussi agaçant que les dispositifs artistiques que fustigent les deux protagonistes, mais, et c’est l’autre particularité du film, les narrateurs usent d’un ton assez badin, assez léger, se permettant des digressions sur l’art contemporain, le cinéma (La Salamandre d’Alain Tanner, Funny people de Judd Apatow…), leurs trouvailles de shopping (en citant les marques, non pas pour faire du placement de produit, mais parce que c’est comme ça qu’on parle dans la vie) ou leurs retrouvailles avec une ancienne camarade de classe…
Cela induit un intéressant décalage entre le fond et la forme. Ainsi, la première partie, qui traite de sujets aussi sérieux que la solitude, la difficulté de réussir sa vie, la maladie, la peur de vieillir et de mourir, est-elle menée sur un ton très léger, très drôle par moments, alors que la seconde, censée se dérouler à l’apogée de l’histoire d’amour des deux couples, baigne constamment dans un climat mélancolique et suscite un certain malaise.
Tout le long du film, le cinéaste joue sur ce contraste. C’est à l’hôpital, alors qu’ils viennent de frôler la mort, que les deux copains ont l’opportunité de rencontrer les femmes de leur vie. Et c’est lors d’une promenade dans un décor immaculé que la noirceur apparaît.
Cette façon subtile d’entremêler constamment comédie et drame, petits bonheur et petits malaise, légèreté et profondeur, propos anodins et interrogations existentielles, autobiographie et fiction, n’est pas sans rappeler la démarche de l’auteur de bandes-dessinées Lewis Trondheim.
Il n’est pas du tout certain que le créateur des “Aventures de Lapinot” soit l’une des références de Sébastien Betbeder, mais ils ont en commun la même volonté d’expérimenter des choses autour de la narration.
Face à 2 automnes 3 hivers, le spectateur doit accepter de se laisser porter par cette construction atypique, dont on se sait jamais où elle va nous mener. C’est ce côté imprévisible qui fait le charme de l’oeuvre.
On a cité des connexions littéraires et graphiques, mais 2 automnes 3 hivers est bien un film. Le cinéaste expérimente aussi des associations de supports, du 16 mm au numérique, pour créer une ambiance particulière. Et il s’autorise de très jolis moments de cinéma, comme celle de la première étreinte d’Arman et Amélie, qui fait un peu penser à la très jolie scène de Mademoiselle Chambon, de Stéphane Brizé, où Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain écoutent un morceau de musique côte-à-côté, prêts à tomber amoureux l’un de l’autre.
Evidemment, pour que l’ensemble fonctionne, pour que l’on accepte de jouer le jeu, il fallait que l’on puisse s’attacher aux personnages. Et, pour cela, trouver les acteurs adéquats. Sébastien Betbeder a eu la bonne idée de s’entourer d’une belle brochette de comédiens, parmi lesquelles les belles et talentueuses Maud Wyler et Audrey Bastien, et le non moins remarquable Bastien Bouillon. Mais sa meilleure trouvaille, c’est de confier le rôle d’Arman à Vincent Macaigne, l’acteur qui est en train de s’imposer dans le milieu du cinéma art & essai français (on a pu le voir cette année dans La Bataille de Solférino et La Fille du 14 juillet). Il est parfait dans le rôle d’Arman, trentenaire à la croisée des chemins. Ce n’est pas vraiment l’archétype mâle des comédies romantiques classique, avec son début de calvitie sur le haut du crâne, ses cheveux longs filasses sur les côtés, sa barbe de trois jours et son léger embonpoint, mais il possède un certain charisme, une indéniable poésie burlesque, et ce qu’il faut de sensibilité pour nous toucher. Il est, comme ses partenaires, l’incarnation non pas d’un héros, mais d’un type ordinaire, en qui tout le monde peut se reconnaître.
Il faut un peu de temps pour que la magie opère, et qu’on accepte de se laisser séduire par cet acteur atypique. Et il en va de même pour 2 automnes 3 hivers et de sa construction tout aussi particulière. Mais, une fois dans l’histoire, on ne peut s’empêcher de trouver que le film passe trop vite. Comme la vie. C’est là le coeur de l’oeuvre : la prise de conscience de la brièveté de l’existence, de la fragilité des choses, et l’amertume qui en découle, mais aussi la nécessité de vivre chaque instant pleinement, avec passion. Ah, le beau film que voilà, qui vient, à la jonction entre l’automne et l’hiver, nous apporter un peu de poésie et de fantaisie…
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2 automnes 3 hivers 2 automnes 3 hivers Réalisateur : Sébastien Betbeder |
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Franchement, avec la tête qu’il a, je pense que c’est normal qu’il n’ait pas trouvé une compagne plus tôt. Je trouve que cette histoire est drôle, assez émouvante mais surtout cela nous apprend beaucoup de choses sur la vie de couple. L’amour n’est pas seulement faite de bonnes choses, il faut aussi traverser des épreuves.